Vraiment en colère, mais ni réactionnaires ni révolutionnaires... Ainsi apparaissent les médecins généralistes qui ont répondu à notre enquête sur les modes de rémunération. Coup de sonde qui renvoie d’ailleurs une vision un peu paradoxale de la situation. Côté pile, on retiendra une adhésion très forte aux règles du jeu de la médecine générale à la française. Les trois quarts des 589 praticiens qui nous ont renvoyé leur questionnaire se disent en effet « très attachés » (43 %) ou « assez attachés (31 %) au paiement à l’acte. Dans le détail, on trouve à ce système, qui reste la principale source de paiement du généraliste, plus d’avantages que de défauts (voir les courriers sur le paiement à l'acte). Son principal atout étant de responsabiliser le patient pour 69 % des praticiens sondés. 51 % jugent à l’inverse ce mode de paiement « inadapté aux patients chroniques ». Mais, tout compte fait, la balance reste tout de même largement positive. Seuls 12 % des médecins généralistes ne trouvant aucune vertu à leur mode de rémunération actuel.
[[asset:image:4966 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]À bien y regarder pourtant, côté face, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Question de niveau de rémunération d’abord. 8 praticiens sur 10 considèrent leur revenu actuel insuffisant (54 %) ou très insuffisant (24 %) ; seul un sur cinq est de l’avis contraire (voir les courriers sur la valeur du C). « La valeur du C est insuffisante, quand on sait tout ce que le généraliste aborde et règle au cours d’une consultation », estime ainsi Véronique Fournols-Barascud, d’Argelès-sur-Mer. Un sentiment partagé a fortiori par les praticiens franciliens. « Le niveau de rémunération actuel impose de multiplier les actes et d’écourter les consultations », renchérit Dominique, un de ses confrères parisiens. « Le généraliste secteur 1 à 23 euros, compte tenu des responsabilités et des années d’étude, c’est lamentable », poursuit un de ses confrères de Meaux (77). « La rémunération de la médecine générale est pitoyable. Il ne faut pas s’étonner du désistement important des jeunes à vouloir s’installer », déplore un généraliste du sud des Hauts-de-Seine.
Mal payés... dans tous les sens du terme
L’insatisfaction des généralistes ne tient pas qu’à la faiblesse de leurs émoluments. La plupart d’entre eux semblent conscients des insuffisances du système en vigueur au regard de l’évolution des besoins de santé. Au point que près des deux tiers de nos sondés pensent qu’ils pourraient faire davantage pour leurs patients ou pour la santé publique si les règles du jeu étaient différentes...
En la matière, les dernières innovations sur le paiement à la performance n’apparaissent pourtant pas forcément comme la bonne réponse aux besoins du moment : les deux tiers jugent les objectifs de la ROSP (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique) discutables au plan médical ou même déontologique (voir le détail des réponses sur la ROSP). Quant aux forfaits apparus ces dernières années, la plupart les accueillent avec pragmatisme comme un complément de rémunération comme un autre. Quitte à s’indigner de leur montant actuel comme cette quinquagénaire du 95 : « Le forfait ALD n’a jamais été réévalué depuis sa création. Pourquoi ? Personne n’en parle. » Enfin, un tiers des confrères se méfient des forfaits comme de la peste : « C’est le baiser de Judas du syndicalisme au praticien », ne craint pas d’affirmer Bruno, installé près de Lille...
Pour un paiement à l’acte revisité
En lieu et place de ces nouveaux modes de rémunération, les généralistes penchent donc plutôt pour un paiement à l’acte revu et corrigé (voir les courriers sur les réformes possibles). Très peu jugent le C unique (encore en grande partie la règle si l’on excepte la MPA des plus de 80 ans et la MNO des nourrissons) comme la panacée. « Le C unique, quel que soient la densité et le contenu de la consultation ne récompense pas l’investissement du médecin, la prise en charge de la complexité, la prise de risque, la gestion de multiples motifs (…) En l’état actuel, le C unique et bloqué incite à l’inflation », relève par exemple Mickael, un jeune trentenaire de l’Hérault.
Il n’est pas le seul à penser ça... Alors que 85 % des médecins généralistes se disent favorables à ce que le tarif de l’acte évolue en fonction de la lourdeur des consultations, la plupart penchent pour un aménagement du paiement à l’acte, soit dans le sens d’une hiérarchisation des consultations (42 %), soit dans le sens d’un paiement en fonction du temps passé (26 %). À Limoges, Philippe Garnier suggère un « paiement à l’acte, mais avec un tarif adapté à l’âge, au lieu d’exercice, à la patientèle et aux prescriptions du médecin. » « DE systématique pour les visites à domicile, consultation « lourde » à déterminer », propose-t-on plus au sud-est, dans le Gard. « À un acte fait, un C payé, c'est-à-dire que, si un patient vient pour trois actes différents, trois C sont à payer, comme chez le garagiste et l’épicier », insiste un Toulousain de 57 ans.
Le modèle suisse – pays des horloges - a lui aussi ses défenseurs. « Evolution du mode de rémunération adapté au temps et aux soins réalisé par le médecin », réclame une toute jeune Limougeaude de 25 ans. « Paiement à l’acte adapté au temps passé et à la lourdeur de l’acte effectué », revendique en écho un de ses confrères de Sénas (Bouches-du-Rhône). « J’aspire à une rémunération tenant compte du temps passé, non seulement par acte, mais également aux obligations dérivées des actes : échanges téléphoniques, courrier, envois de prescription en tous genres aux Ehpad… », développe le Nantais Stéphane Waisbord.
D’autres aménagements sont suggérés aussi, par exemple pour tenir compte de l’implantation. Ainsi un généraliste sur deux (53 %) participant à notre enquête trouverait normal que leur rémunération varie en fonction de leur lieu d’installation ou de leurs frais immobiliers. « Aucune reconnaissance pour l’effort produit en zone sous-médicalisée », tempête ainsi un généraliste de Thizy dans le Rhône.
D’autres contributions suggèrent des bonus tenant compte aussi de l’évolution de carrière, des efforts de FMC, voire de la nécessité de favoriser tel ou tel profil de médecin. « Je trouverais normal que soient mieux payés des médecins qui suivent une formation régulière », avance un confrère quinquagénaire installé à Saumur. « Il faudrait un C différent pour les médecins installés et les remplaçants, de façon à les inciter à s’installer », estime Denis Gastaldi dans la Meuse. Alors qu’à Bayeux, dans le Calvados, Gérard Pichonnet réclame « une rémunération pour les médecins qui exercent en groupe et qui investissent dans des locaux aux normes handicapées et qui ont du personnel ».
Du temps pour soi... et pour ses patients
Nombre de courriers reçus à l’occasion de cette enquête évoquent, par ailleurs, la nécessité de poser des garde-fous pour éviter la course à l’acte (voir les courriers sur ce thème). « Si le paiement à l’acte doit persister, il doit être plafonné pour éviter la multiplication des actes inutiles et mercantiles par certains », affirme un lecteur de Limoges. « Imposez de toute façon un nombre maximum d’actes par heure effective », insiste Joseph Waked depuis la Gironde. Difficile de savoir si ceux-là sont majoritaires : notre enquête ne l’a pas mesuré. Mais, clairement, se profile chez de plus en plus de confrères une aspiration à davantage de qualité de soins pour le patient ou de vie pour le praticien que visiblement le système actuel ne permet pas de satisfaire.
[[asset:image:4971 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]C’est à cela que se réfère explicitement ce médecin de 55 ans qui exerce dans le Pas-de-Calais quand il propose une « limitation du nombre d’actes avec très forte augmentation du C (50 euros par exemple) : cela permettrait de déléguer des actes non médicaux (administratifs et paramédicaux), de revaloriser notre activité et de ne faire que de la médecine ! » « Je trouve inadmissible que nous n’ayons pas le choix d’adapter nos horaires à notre qualité de travail », s’indigne pour sa part ce confrère de l’Isère qui paie un secrétariat sur place, assure des rendez-vous de 20 minutes minimum et estime gagner « deux fois moins que celui qui reçoit en 10 minutes, tout en répondant au téléphone ! » Clairement, chez ses médecins là, l’argent est loin d’être le seul moteur : « Une majoration du C ne permettra pas d’augmenter nos revenus, mais d’abord d’améliorer nos conditions de travail », assure le jeune Stéphane Coppi, 35 ans, qui exerce dans le Doubs.
Salariat, pour qui, pour quoi... pourquoi pas ?
Jusqu’où cette aspiration à prendre du temps pour soi et pour ses patients pourrait-elle amener certains médecins de famille ? Et si la quête du Graal passait par le salariat ? Certains semblent tout prêts à sauter le pas. «?Je prends tout de suite le salariat, s’il est aligné sur les conditions de travail et de rémunération des médecins conseils des caisses, et en tenant compte de mes 35 ans d’ancienneté », affirme, un rien provocateur, Dominique depuis sa France-Comté. «?Travailler 35 heures par semaine ? Je dis oui, même en divisant mes revenus par deux?», avance un autre jeune confrère de la même région. «?C à 46 euros comme la moyenne européenne, ou alors salariat 35 heures, congés payés, sécu et retraite pour 7?000 euros par mois – comme les PH à Paris – et là je signe immédiatement », insiste une sexagénaire de la capitale.
Le virage tarifaire ne ferait pas bondir grand monde
Faut-il prendre au sérieux ces interventions ? Sûrement ! Considérer qu’elles sont majoritaires ? Probablement pas. Pourtant, notre enquête incline à penser qu’une grande partie des médecins de famille est, mine de rien, ouverte aux alternatives pour tenter de sortir du cercle vicieux «bureau, boulot, dodo ». Ainsi, avons-nous testé l’hypothèse d’un véritable virage tarifaire. Surprise : il ne ferait pas bondir grand monde, pourvu que chacun reste libre de choisir ses règles du jeu. Un généraliste sur deux se révèle ainsi pas hostile à un scénario à la belge dans lequel chaque praticien pourrait opter – s’il le souhaite – pour un scénario alternatif au paiement à l’acte, type paiement au forfait, à la capitation ou au salariat?; les autres continuant de percevoir leurs recettes selon des modalités traditionnelles.
Plus surprenant encore : près de 80 % de la profession ne serait pas contre l’abandon de leur mode de rémunération actuel si on leur assurait en échange «?une augmentation substantielle » de leur revenu. Prudente, l’immense majorité ajoute que cela dépendrait évidemment du système proposé. Mais cette réponse à la dernière question de notre enquête montre que, sur la rémunération de la médecine générale, la donne peut encore évoluer. Attaché à son paiement à l’acte, le généraliste ? Oui, mais pas comme une moule à son rocher...
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