Rencontre fortuite sur le quai du métro de la Place de Clichy, dans la ligne 13 du métro parisien. Il est 9h40 ce mardi 1er juillet et Philippe Denry, pharmacien d’officine de 61 ans qui exerce près de Nancy, s’apprête à rejoindre la cohorte des professionnels de santé libéraux qui protestent à Paris contre le gel de la revalorisation de leurs honoraires et d’autres mesures d'économies unilatérales pour répondre au dérapage des dépenses maladie. L’occasion pour ce cadre syndical de la FSPF d’expliciter les raisons de la colère de la profession. Dans son viseur, le projet gouvernemental de baisser à un taux compris entre 20 et 25 % le plafond des remises commerciales consenties par les fabricants aux pharmacies sur les médicaments génériques. De quoi réduire la marge des officinaux.

« Cette mesure a été décidée sans concertation ! Si elle s’applique, c’est une perte de 600 millions d’euros pour les officines, ce qui représente un peu plus de 20 000 euros par pharmacie, soit l’équivalent d’un emploi salarié », développe-t-il. Actuellement, les remises sont plafonnées à 40 % maximum du prix du générique. « Ces remises permettent la survie de nombreuses officines qui assurent le maintien d’un accès aux soins de la population dans beaucoup de territoires ruraux », alerte le responsable syndical avant d’aller battre le pavé sur l’esplanade des Invalides.
Sous le cagnard
Sur place, difficile de rater les manifestants. Pharmaciens, kinés, chirurgiens-dentistes, médecins… Ils sont déjà plusieurs centaines de soignants libéraux, malgré la canicule, à avoir répondu présents à l’appel de quatorze organisations syndicales*.
Thomas, Quentin, Coline et Estelle sont de la partie. Quentin, kiné de 38 ans, a fait le déplacement depuis les Vosges, où il exerce depuis 7 ans. « Je suis venu pour défendre nos conditions d’exercice et un meilleur accès aux soins pour les patients ». Coline, 30 ans, remplaçante « un peu partout », dénonce « le gel de la revalorisation des kinés » qui était prévue ce 1er juillet. « C’est la raison de la présence de tous ces professionnels de santé, le report de nos revalorisations au 1er janvier 2026 », détaille Cécile, 31 ans, kiné à Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine) et adhérente SNMKR. Pour mémoire, les séances de kiné devaient augmenter de 1,33 euro en juillet. Et l’avenant signé il y a deux ans prévoyait des revalorisations étalées sur le temps. En contrepartie, les kinés acceptaient une limitation de leur liberté d’installation dans les zones sur-denses, un peu à la manière de ce que contient la proposition de loi du député PS Guillaume Garot.
« Le problème ne vient pas de ces +1,33 euro par séance, mais du fait que la Cnam nous en a informés il y a dix jours, sans aucune concertation. Rien ! Alors qu’il s’agit d’un accord conventionnel. C’est inadmissible », s’insurge Cécile. Un sentiment d’injustice partagé par les soignants dans la rue, souvent jeunes, présents sur l’Esplanade ce mardi et que reflètent les slogans sur des T-shirts floqués pour l’occasion : « On en a gros » ; « soignant trahi »,, « l’inflation nous écrase », « le gouvernement nous enterre » ou, sur des ballons rouges suspendus à des ficelles : « Des tarifs décents pour une santé de qualité ». « Ne mordez pas la main de ceux qui vous soignent », peut-on lire aussi à la tente des chirurgiens-dentistes de France (CDF). Pour cette profession également, une convention, signée en 2023, prévoyait des revalorisations des actes des spécialistes en chirurgie orale…
« Les soignants, on ne peut pas les aduler au moment du Covid, quand on a besoin d’eux, et ensuite chercher à faire des économies sur leurs dos. Ils sont conscients qu’il faut désendetter le pays mais ça ne se fait pas sur des injonctions. Je pense que la ministre de la Santé Catherine Vautrin en a conscience », veut croire Karl Olive, député du bloc central (Ensemble pour la République) « venu en voisin apporter son soutien en tant qu’élu de terrain ».
Une réunion en juillet ?
« Le côté pluripro de cette journée est très important. Chacun voit qu’il n’est pas le seul à être impacté par ce gel tarifaire : les pharmaciens, les kinés, les chirurgiens-dentistes, les médecins libéraux… », insiste le Dr Luc Duquesnel, chef de file des généralistes de la CSMF. « Toutes les professions de santé représentées ici croient intimement en la convention avec l’Assurance-maladie. Mais aujourd’hui beaucoup se demandent si ce qu’a fait la Cnam, en remettant en cause les conventions signées, ne donne pas finalement raison à ceux qui proposent de sortir du système conventionnel », s’inquiète le généraliste de Mayenne.
Direction l’avenue de Ségur, où les représentants syndicaux (un par délégation) ont rendez-vous avec le ministre de la Santé Yannick Neuder. Pour quel résultat ? « Si l’automatisme du gel des avancées tarifaires programmées, à la suite du déclenchement du comité d’alerte, dépendait de la loi, nous avons rappelé qu’il était à la main du gouvernement de relancer des négociations conventionnelles sur ce sujet précis des revalorisations », avance le Dr Franck Devulder, présent dans les échanges au nom de la CSMF. Yannick Neuder aurait répondu qu’il demanderait au DG de la Cnam de réunir les syndicats signataires de la convention, en sa présence « pour essayer de trouver une solution. Rapidement, courant juillet, je pense », voulait croire le président de la CSMF.
* Alizé (kinés), CDF (chirurgiens-dentistes), CNSA (ambulanciers), CSMF (médecins), FFMKR (kinés), FMF (médecins), FNEK (kinés), FSPF (pharmaciens), MG France (médecins), ONSS (sages-femmes), SDA (audioprothésistes), SNAO (orthoptistes), SNMKR (kinés) et USPO (pharmaciens).
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