Monsieur DAM (Délégué de l’Assurance Maladie) est venu au cabinet m’aider à déclarer mes indicateurs ROSP. C’était ma première visite d’un DAM depuis mon installation il y a bientôt 3 ans : visiblement, je n’étais sur aucune liste.
J’avais déjà studieusement pré-rempli mes indicateurs avant le passage de Monsieur ROSP, mais certains chiffres me semblaient approximatifs : par exemple, le nombre de patients diabétiques, hypertendus ou fumeurs dans ma patientèle « médecin traitant ». J’imagine que Monsieur ROSP apportera avec lui des données chiffrées.
On ouvre ma session et on démarre avec les indicateurs de prévention. Il s’agit des chiffres relevés par l’Assurance Maladie : on peut en prendre connaissance, mais on ne peut ni les déclarer soi-même, ni les modifier. Le premier paramètre porte sur la vaccination antigrippale des sujets à risque et des plus des patients ≥ 65 ans. Voilà mes scores qui s’affichent : 0 % et 0 % ! Je sursaute, ayant vacciné à tour de bras cet hiver encore. Monsieur ROSP m’explique que la dernière mise à jour date de septembre 2017 – avant le démarrage de la campagne vaccinale 2017-2018 donc —, et que plus tôt en 2017, je n’avais pas inscrit assez de patients éligibles dans ma patientèle pour valider l’indicateur. Eh oui ! Je suis installée comme collaboratrice libérale, et comme nous ne pouvons plus accueillir de nouveaux patients sous peine de burn-out, je suis amenée à vacciner les patients qui ont pour MT ma consœur titulaire du cabinet. Mes statistiques personnelles sont donc mauvaises alors que ma pratique est bonne, à mes yeux comme à ceux de la Santé Publique. Je fais la moue, et là M. ROSP me suggère de prendre contact de sa part avec le Docteur X, médecin généraliste à l’autre bout de Paris, qui cherche des collaborateurs libéraux, et qui serait adjoint à la mairie de Paris « donc bien placé », précise M.ROSP d’un air entendu. Je me crispe.
On passe aux indicateurs déclaratifs, que j’avais déjà complétés. Monsieur ROSP a pris la main sur mon ordinateur et écarquille les yeux.
- « Patients diabétiques » : vous avez mis 5 ? Pourquoi vous en avez mis 5 ?
- Eh bien, il me semble bien que j’en reçois 5…
- Ah non mais 5, ça n’est pas possible ! Si vous ne mettez pas au moins 10, vous n'aurez pas les points ! METTEZ 10 !!!
Il pousse le clavier et la souris vers moi. Je me sens très gênée : dois-je comprendre qu’il me demande de gonfler mes chiffres ? Est-ce un piège, est-il en train de tester ma probité, corrompre mes scrupules ? Voudrait-il un pourcentage de ma ROSP, une commission ? Les idées folles défilent dans mon cerveau confus. « En premier ne pas nuire », mais « deuxièmement ne pas mentir » me convenait bien jusque-là.
On continue.
- « Part des patients MT dont le risque cardio-vasculaire a été évalué par SCORE en amont de la prescription de statines ». Vous n’avez pas rempli ?
- Non, je n’étais pas sûre d’avoir compris… Il s’agit des patients à qui j’ai moi-même primo-prescrit une statine cette année ?
- Oui !
- Oh, c’est vraiment une situation très rare, j’instaure très peu de traitements par statine… Peut-être 3 nouveaux patients cette année ? (en réalité, je n’en ai qu’un seul en tête. J’ai plutôt tendance à arrêter les statines qu’à les instaurer !)
- Ah non non non ! Le minimum c’est 10 ! Mettez 10, sinon c’est encore 20 points qui vous passent sous le nez ! Vous savez, c’est pour vous que je dis ça docteur !
On continue.
- Pour les patients tabagiques je ne savais pas trop… Je sais que c’est plus de 30 % des hommes et un peu moins de 30 % des femmes, alors peut-être que si je multiplie par le nombre de patients dont je suis médecin traitant…
- Non non, on s’en fiche ! Pour l’indicateur il en faut au moins 10, mettez 10 !
Je me dis que le suivi de mes indicateurs d’une année sur l’autre va être sacrément peu pertinent…
- Et pour le dépistage visuel des enfants, vous avez mis 0 % ?
- Oui… Vous voyez, notre cabinet est si petit qu'on n'a pas 5 mètres pour tester la vision de loin ! Même le Monoyer à 3 mètres, avec le placard, le lavabo, la porte, c’est trop juste !
- D’accord… Mais ils sont testés par la médecine scolaire, ces enfants, alors !
- Oui en général, mais si c'est la médecine scolaire, ce n'est pas à moi de toucher la ROSP…
- C’est pas grave ! Du coup mettez 60 %, c'est le minimum pour avoir la prime !!!
Je parjure Hippocrate encore une fois.
- Et vous avez combien de patients de moins de 16 ans ? De moins de 1 an ? De 3-5 ans ?
- Justement, je me disais que le relevé de patientèle n’était pas bien pratique, parce qu’il indique les 0-6 ans puis les 7-79 ans…
- Non, ça n’est pas pratique ! Mais mettez 5 partout ! C’est le minimum pour les points.
J’ai la tête qui chauffe, heureusement nous arrivons à la fin du questionnaire. « Forfait structure ». Monsieur ROSP estime que j’ai un super logiciel, mais que pour ce qui est de la compatibilité DMP, ça ne convient pas. Je lui explique que mon éditeur vendait cette option pour 280 euros, et qu’étant à peu près certaine de ne pas l’utiliser dans l’immédiat, j’avais fait le choix de ne pas engager ces frais.
- Mais Docteur ! Le calcul est vite fait ! Prenez vite cette option ! Vous payez 280 euros à votre éditeur et vous allez en toucher 1500 en ROSP !
- Hmmm, j’ai fait comme l’a conseillé mon syndicat MG France… J’ai ouvert un DMP sur http://www.dmp.gouv.fr/ et…
- Non docteur je vous arrête, vu votre logiciel, vous devez payer l’option ! Au pire vous touchez les 1 500 euros et vous résiliez l’option juste après !
Pressée d’en finir, j’acquiesce, en croisant mes doigts sous la table.
Il nous reste encore 2 items. « Participation à une équipe de soins primaires ». Oui, j’en suis, mais tout cela est en cours, la SISA n’est pas encore signée. Pour monsieur ROSP peu importe, « demandez un justificatif attestant que vous vous êtes réunis au moins 4 fois cette année ». Alors, je demanderai.
Dernier item. "Amélioration des services offerts aux patients".
- Vous avez coché « non » ?
- C’est ça !
- Vous n’avez pas de secrétariat physique ? Non ? Vous avez quoi ? Un secrétariat en ligne ? Mais il y a aussi une secrétaire téléphonique ?
- Oui, mais on ne peut pas du tout dire que ça accompagne pour autant les parcours de soins complexes, et…
- Peu importe ! Envoyez la facture Doct**ib, c’est très bien !
J’espère être oubliée par les DAM pendant 3 nouvelles années. D’ici là, il me reste 9 jours pour décider si j’efface ou non les mensonges pour lesquels Monsieur ROSP m’a forcé la main…
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