Dr Franck Devulder (CSMF) : « La médecine libérale ne survivra que si on lui donne un cap »

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Publié le 01/10/2025
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Le président de la CSMF, qui réunit ses cadres à Avignon pour ses 31es Universités (2 au 4 octobre), sonne l’alarme : la médecine libérale est « en danger » entre démographie défavorable, pression budgétaire et menaces sur la liberté d’installation ou le secteur 2. Son président, le Dr Franck Devulder, réclame un cap clair et des moyens. Et mise sur la pertinence des soins pour éviter « la sanction et le rabot ».

Crédit photo : Seba/Phanie

LE QUOTIDIEN : Votre 31e université d’été s’intitule « Médecine libérale : stop ou encore ? » Pourquoi ce thème alarmiste ?

Dr FRANCK DEVULDER : Malgré la signature récente de la convention médicale, la médecine libérale reste en danger. Elle fait face à deux défis majeurs : l’accès aux soins, avec une démographie défavorable – de moins en moins de jeunes généralistes s’installant en libéral – et la soutenabilité financière de la Sécurité sociale avec déjà 12 % du PIB consacré à la santé. Or, la médecine libérale, porte d’entrée du système, doit être renforcée. Elle ne survivra que si on lui donne un cap et des moyens. Notre responsabilité est de proposer des solutions avant qu’il ne soit trop tard : c’est le sens de ce thème provocateur, « stop ou encore ? ».

Un nouveau gouvernement s’installe. Quelles sont vos lignes rouges ?

Je n’aime pas parler de lignes rouges. La CSMF ne veut pas dresser des barrières mais proposer des solutions pour faire évoluer le système de santé. Évidemment, certaines mesures seraient inacceptables : la suppression de la liberté d’installation, un rabotage financier aveugle ou la remise à plat brutale des secteurs tarifaires. Là, oui, ce serait un casus belli. Mais au-delà, nous attendons du futur ministre de la Santé une vision à long terme, avec un cap clair pour refonder notre système et adapter la Sécurité sociale, qui fête ses 80 ans, aux évolutions démographiques et sociales des décennies à venir.

Craignez-vous un tour de vis budgétaire dans le PLFSS 2026 ?

Il faut un Ondam 2026 [objectif national de dépenses maladie] suffisamment ambitieux et équilibré entre la ville et l’hôpital. Un taux d’évolution trop faible, par exemple moins de 2 % comme l’avait prévu Catherine Vautrin, ne permettrait pas au système de santé de remplir ses missions et de répondre aux besoins. Pour contenir durablement les dépenses de santé, il faut un Ondam pluriannuel stable et une politique de santé plus cohérente. Toutes les actions doivent être guidées par la prévention, la pertinence, la qualité et la responsabilité, impliquant l’ensemble des acteurs libéraux et hospitaliers. Sans cela, on ne fera que répéter des coups de rabot qui risquent d’avoir l’effet inverse de celui recherché. 

Le report de six mois des revalorisations d’honoraires est-il le révélateur d’un système conventionnel fragilisé ?

Nous avons été surpris et choqués par ce report de six mois des revalorisations. Ce n’est pas une fragilité du système, mais une application légale du comité d’alerte. Cet épisode ponctuel a écorné la parole de l’État et des syndicats, mais il n’affaiblit pas la convention. Il est toutefois nécessaire de moderniser le système conventionnel de 1970, sinon il risque d’être remplacé par un cadre réglementaire moins souple et moins précis.

Le Premier ministre veut faire de l’accès aux soins une priorité nationale. Que pensez-vous de sa promesse d’un réseau de 5 000 « maisons France santé » ?

J’espère que ces maisons France santé ne seront pas un nouveau machin inventé de toutes pièces. Je rappelle que nous avons déjà deux réformes importantes pour l’accès aux soins à mettre en place : la quatrième année de médecine générale et le pacte territorial ! Elles ne sont toujours pas opérationnelles, et voilà qu’un nouveau concept arrive… Si, en revanche, l’objectif est que les maisons France Santé deviennent le label d’un pôle de santé, d’un centre de santé ou encore d’une maison de santé pluridisciplinaire, en mobilisant toutes les forces vives, alors cela peut être une bonne chose.

Quel regard portez-vous sur le déploiement de la mission de solidarité territoriale portée par des généralistes volontaires ?

L’élément important, c’est que cette réforme reste fondée sur le volontariat. Cette mesure clé du pacte de solidarité, il faut que ça marche. Je le dis aux confrères : allez-y ! Mais il faut que le gouvernement corrige sa copie, notamment sur la rémunération à 200 euros/jour. Dans la convention, les consultations avancées, c’est 200 euros… par demi-journée. Il faut qu’il y ait une cohérence, sinon, cela échouera et ça donnera du grain à moudre à ceux qui veulent restreindre la liberté d’installation. En outre, pour être efficace, cette solidarité doit concerner les médecins du public comme du privé, de l’hôpital aux centres de santé.

Des parlementaires de tous bords poussent toujours pour une régulation à l’installation. Craignez-vous le retour de la PPL Garot ?

On voit bien que la pression monte. Nous avons abordé ce sujet avec le conseiller santé du président de la République. Sa réponse a été très claire : l’Élysée ne veut pas qu’on touche à la liberté d’installation. Je me suis permis de lui rappeler que ce même président de la République avait parlé d’un conventionnement sélectif. Cela dit, si on ne participe pas au pacte de santé territorial, ce sera le fouet et la punition pour nous, médecins libéraux.

Une mission parlementaire sur le secteur 2 est en cours. Craignez-vous ses conclusions ?

Oui, je suis d’autant plus inquiet qu’il y a deux actualités sur le secteur 2. Cette mission parlementaire mais aussi le prochain rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie qui va sortir. Sans dévoiler de secret, sa conclusion tire à boulets rouges sur les honoraires libres ! Face à cette pression, la CSMF défend le maintien du secteur 2 et porte un espace de liberté tarifaire solvabilisé par les complémentaires santé pour tous les médecins qui s’engagent dans des consultations avancées, l’accueil d’internes, une participation dans les SAS ou encore la PDSA.

Depuis septembre, une nouvelle campagne MSO-MSAP cible les très gros prescripteurs d’arrêts de travail. Comprenez-vous la méthode de la Cnam ?

Pas bien. Le ciblage statistique des gros prescripteurs d’arrêts de travail reste très mal vécu par les médecins, qui le perçoivent comme stigmatisant et même traumatisant. La CSMF a appelé à refuser les mises sous objectifs, qui enferment les praticiens dans une culpabilité sans défense, pour préférer des mises sous accord préalable, permettant un dialogue et une régulation plus équitable. Pour autant, la dynamique des dépenses d’arrêts de travail – 16 milliards d’euros – est un vrai sujet. Mais il faut le traiter en accompagnant les gros prescripteurs plutôt qu’en les stigmatisant. Le service du contrôle médical joue un rôle central en intervenant auprès des patients en arrêts longs, parfois avec le médecin du travail. Pourquoi ne pas s’appuyer davantage sur ces dispositifs ?

La CSMF a refusé de signer l’accord sur les dépenses d’imagerie. Comment sortir de ce blocage ?

Le PLFSS a voté une réduction d'enveloppe de 300 millions d'euros sur trois ans sur l’imagerie. Quand on regarde la proposition de l’Assurance-maladie, c'est un coup de rabot supplémentaire injuste. Pour sortir du blocage, avec la Fédération nationale des radiologues, nous allons proposer à la Cnam d’ajuster le forfait technique, en fonction des besoins réels de la population sur chaque territoire. On peut agir vite. C’est ainsi que l’on pourra garantir pertinence, équité et organisation territoriale, plutôt que d’aggraver la situation par une baisse uniforme et aveugle.

Dans la convention, vous vous êtes engagés sur des objectifs de pertinence des soins, avec une quinzaine d’indicateurs. Quelle est la tendance ?

Le compte n’y est pas. C’est insuffisant sur plusieurs indicateurs, dont les arrêts de travail, les antibiotiques, les biosimilaires… Pour éviter la sanction collective et le rabot, il faut changer de méthode et faire de la pertinence un pilier central de notre système de santé, avec la prévention. Regardons ce qui se fait à l’étranger : Suède, Pays-Bas, Canada, États-Unis. La pertinence fonctionne mieux car elle est portée par la profession, pas par l’assureur ! Je propose de confier cette mission aux conseils nationaux professionnels [CNP], de généraliser les groupes d’analyse de pratiques qui ont montré leur efficacité et de valoriser les médecins qui acceptent d’évaluer leurs pratiques.

Repères

2014-2016 : président du CNP d’hépato-gastroentérologie

2017-2020 : vice-président de la Fédération des spécialités médicales (FSM)

2020-2022 : président de la branche spécialistes de la CSMF

2021 : La CSMF obtient 17,31 % des voix chez les généralistes et 22,36 % chez les spécialistes aux élections professionnelles

Mars 2022 : président de la CSMF

Avril 2022 : vice-président de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS)

2024 : Signature de la nouvelle convention médicale

Propos recueillis par Loan Tranthimy et François Petty

Source : Le Quotidien du Médecin