LE QUOTIDIEN : Six ans après leur création, 800 CPTS couvrent 82 % de la population française. L’objectif de 100 % est-il atteignable prochainement ?
Dr JEAN-FRANCOIS MOREUL : L’objectif « 100 % CPTS » mis en avant par le gouvernement n’a jamais été pour nous un objectif en soi. Plutôt que la course aux chiffres, nous privilégions la promotion et l’efficacité du dispositif, comme cela a été fait lors du Tour de France des CPTS. Une communauté décrétée « d’en haut » ne fonctionne pas puisque la réussite repose sur l’engagement volontaire et la responsabilisation des professionnels de santé libéraux. Lancé en 2019, le dispositif connaît une dynamique très forte ! Nos enquêtes montrent qu’au bout de trois ans, une CPTS fédère en moyenne 65 % des professionnels du territoire.
Pour autant, les médecins libéraux restent en retrait, avec seulement 25 % des généralistes qui adhèrent à une CPTS, ou encore 6 % des gynécologues. Pourquoi cette réserve persistante ?
L’indicateur d’adhésion n’est pas le plus pertinent. L’objectif n’est pas d’atteindre 100 % d’adhésion mais de rendre ces structures concrètement utiles aux médecins grâce aux outils et services qu’elles proposent. Si une CPTS développe une plateforme locale facilitant la coordination avec le SAS [service d’accès aux soins, NDLR] et que les médecins s’en emparent, l’objectif est atteint. Autre exemple : la mise en place des incubateurs de santé solidaire dans le Rhône pour accompagner l’installation des médecins.
Sur le terrain, l’adhésion naît toujours de l’utilité et de la coconstruction : en répondant aux besoins concrets des soignants, par exemple un parcours sur l’insuffisance cardiaque ou une maison sport-santé, la CPTS fédère au fur et à mesure à mesure que chacun y trouve un intérêt pour sa pratique. C’est pourquoi rendre l’adhésion obligatoire, comme l’avait proposé Frédéric Valletoux [en 2023, NDLR], n’aurait aucun sens.
Quels sont les bénéfices concrets mesurés ?
Ils sont significatifs. Une démarche d’évaluation a été engagée depuis plus d’un an, à travers plusieurs enquêtes et un partenariat avec la chaire Santé de Sciences Po, afin d’analyser l’apport des CPTS sur les territoires. Le premier résultat marquant concerne le renforcement des relations ville-hôpital : 98 % des communautés interrogées (sur un panel de 300) ont développé des actions avec les hôpitaux. Surtout, les CPTS constituent désormais un interlocuteur unique et pluriprofessionnel pour l’hôpital, facilitant la conduite de projets de parcours, de prévention et de responsabilité populationnelle.
Le second bénéfice porte sur la prévention. Bien que cette mission soit la moins dotée financièrement dans l’ACI [accord conventionnel interprofessionnel, NDLR], les CPTS y consacrent des moyens importants, considérant qu’une bonne organisation des soins commence toujours par la prévention. Hélas, il existe une dispersion des actions et des financements pour la prévention entre des acteurs multiples, dont la MSA ou les maisons de santé. Il n’y a ni gouvernance centralisée, ni structuration de la prévention et, pire, des financeurs mettent les acteurs en compétition. Nous appelons à une gouvernance territoriale structurée, fondée sur la coopération entre quatre acteurs clés : les CPTS, les élus locaux, les usagers et les établissements de santé.
Dans son rapport sur les CPTS mi-octobre, le Sénat critique le contrôle insuffisant des financements alloués aux CPTS. Ne faut-il pas améliorer la transparence ?
Alors que les CPTS se mobilisent fortement sur le terrain, le rapport sénatorial donne le sentiment que les efforts engagés ne sont pas suffisants, Néanmoins, il ne faut pas le voir comme une remise en cause du modèle mais plutôt une façon de nous challenger ! Les rapporteurs croient profondément en la pertinence des CPTS pour structurer l’offre de santé. Sur le fond, depuis un an, la Fédération a engagé un vaste plan d’évaluation afin d’améliorer la transparence et la lisibilité de nos actions.
Quant à l’utilisation des fonds publics, enjeu central, nous collaborons depuis trois ans avec un éditeur de logiciel, Plexus, pour développer un outil de gestion de projet permettant de suivre, à l’échelle nationale, les indicateurs d’activité et l’usage des financements alloués aux CPTS. Ce travail est long et complexe mais il avance. Notre objectif est clair : garantir que les moyens alloués soient effectivement bien utilisés, partout sur le territoire. Il n’est pas question de laisser subsister des disparités ou des structures qui ne rempliraient pas pleinement leur mission.
Le syndicat UFML-S, sévère sur les CPTS, avait déjà pointé divers mésusages des fonds publics comme des cours de yoga, des soirées théâtre…
Le rapport du Sénat cite les dépenses pour des moments de convivialité mais il faut remettre ça dans le contexte du plan national de santé au travail des professionnels de santé, qui prévoit de nombreuses actions pour l’hôpital et rien en médecine de ville. Pour éviter les dérives, la Fédération demande désormais aux CPTS de documenter ces actions comme de vrais projets, avec une analyse chiffrée, par exemple sur le taux de mal-être au travail des professionnels, le taux de « déplaquage », et un suivi des résultats obtenus. Plutôt que de critiquer ces initiatives, il serait plus pertinent de se demander ce qui est fait pour la santé des soignants libéraux.
Avec l’instabilité politique, la négociation avec la Cnam sur le nouvel « ACI CPTS » est incertaine. Que suggérez-vous ?
Nous avions espéré une lettre de cadrage ministériel en septembre 2025 pour lancer les négociations en 2026 mais l’instabilité politique a retardé le calendrier. Face à l’incertitude, notre approche est déjà de travailler avec les syndicats et la Cnam pour clarifier et améliorer la convention actuelle sur plusieurs axes.
Il s’agit d’abord de sécuriser la transmission des listes d’adhérents pour savoir qui est membre d’une CPTS, sans compromettre la confidentialité. Nous souhaitons aussi la confirmation de la fongibilité des enveloppes, c’est-à-dire la possibilité de transférer les ressources d’une mission à l’autre selon les besoins. Cette liberté inscrite dans l’ACI est remise en question par certaines caisses. Ces clarifications permettront d’harmoniser les pratiques des caisses primaires et de sécuriser certaines règles sans attendre un avenant officiel.
Et pour le prochain accord, quelles sont vos attentes prioritaires ?
D’après nos enquêtes, les CPTS sont globalement satisfaites de la convention actuelle : il n’y a donc pas d’urgence à la modifier, ni à créer de nouvelles missions. L’enjeu est plutôt de mieux préciser le périmètre des missions existantes et de renforcer leur transversalité, notamment autour des parcours chroniques, de la santé environnementale et du lien ville-hôpital.
Sur le plan financier, les enveloppes sont globalement adaptées et la question d’un financement supplémentaire n’est pas prioritaire dans le contexte budgétaire actuel. En revanche, le modèle économique des CPTS devra évoluer pour soutenir le développement et la pérennisation des parcours, qui mobilisent des moyens humains et techniques importants.
Faut-il un système de financement plus incitatif pour les CPTS, sous forme de bonus/malus ?
Notre financement est déjà lié en partie à l’atteinte d’objectifs mesurables. Plutôt que d’introduire un système de bonus-malus, il faudrait mieux exploiter les indicateurs existants pour comprendre ce qui fonctionne bien, et ensuite accompagner plus efficacement les CPTS dans leurs missions.
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, souhaite une forme de décentralisation de la santé. Quel rôle pourrait jouer les CPTS ?
Je suis favorable à une certaine décentralisation pour mieux organiser la santé sur le terrain au niveau local mais il devra impérativement perdurer une vision départementale, régionale et nationale. On ne pourra pas laisser les territoires et les bassins de vie gérer seuls leur organisation car cette autonomie risque de créer concurrence et incohérence dans la gestion des politiques de santé.
Dans cette dynamique, les CPTS peuvent effectivement jouer un rôle clé : nous sommes les meilleurs observateurs des besoins de santé locaux. Nous sommes capables de produire des données fines sur les professionnels et l’offre de soins, et d’accompagner la mise en œuvre des projets concrets sur le territoire.
Quelques chiffres
• 800 CPTS, 82 % de la population couverte
• 5,4 millions de personnes en « zone blanche », non couverte
• En 2023, 121 millions d’euros versés à 508 CPTS signataires de l’ACI (soit 240 000 euros par CPTS)
• 254 millions d’euros budgétés pour 700 CPTS signataires à fin mai 2025 (si tous les indicateurs sont atteints)
Repères
2005 Installation en médecine générale
2010 Création du pôle de santé Ouest Anjou à Bécon-les-Granits (Maine-et-Loire)
2012 Facilitateur pour l'URPS médecins libéraux en binôme avec l'ARS
2016 Création d’une CPTS de taille 1 (35 000 habitants), signataire de l'ACI en 2020
2020 Membre du conseil d’administration de la Fédération des CPTS
2025 Président de la Fédération des CPTS
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