Du haut de son mètre 90 et de ses 87 ans, tiré à quatre épingles, installé depuis 1966 dans le quartier populaire de Courteilles à Alençon (Orne), le Dr Jean-Pierre Lyon a l’allure d’un capitaine au long cours médical. « Un capitaine du Titanic, glisse-t-il ans un demi-sourire. La médecine générale est en train de mourir. Quand je suis arrivé ici il y a 57 ans, nous étions 24 pour toute la ville, aujourd’hui nous sommes sept, avec une population qui n’a pas augmenté. J’ai dû acheter ma clientèle, nous nous faisions concurrence les uns les autres pour garder nos clients, nous assurions 10 gardes de nuit et une garde dominicale par mois, nous faisions des visites jusqu’à dix heures du soir ; aujourd’hui, les gars branchent le répondeur pour renvoyer au 15 dès 18 heures, ils ne font plus de visite à domicile, ils accordent des rendez-vous à trois semaines par Doctolib, ils ne sont plus jamais de garde et ils sont en burn-out ! Épuisés dans le désert médical ! »
Lui, il n’a rien changé. « Le Docteur nous suit, moi et ma famille depuis 1969, témoigne Annick Leveillé, professeur à la retraite. La dernière fois que je l’ai consulté, pour un renouvellement, j’ai pris mon tour et j’ai patienté dans la salle d’attente pendant deux bonnes heures. Il a toujours gardé son organisation : les visites tous les matins, les consultations sans rendez-vous l’après-midi jusqu’à 20 heures et deux soirs par semaine jusqu’à 22 heures. » À l’Ehpad du quartier, on confirme qu’il est le seul praticien à accepter de se déplacer encore tous les jours. « Alors tout le monde respecte beaucoup le Dr Lyon et sa disponibilité exceptionnelle », assure la responsable de l’officine voisine.
Apprenti ajusteur à 15 ans.
« Je n’étais pas fait pour les 40 heures, confirme ingénument l’intéressé. Ceux qui geignent aujourd’hui n’étaient pas faits pour ce métier. Moi je l’exerce sans avoir jamais eu l’impression de travailler. Et oserais-je le dire sans problème. Vous savez, je reviens de loin socialement. Avec un père qui a fait de mauvaises affaires, j’ai été apprenti ajusteur à quinze ans, j’ai subi les chefaillons d’usine et j’ai rêvé d’un autre univers, je voulais être libre. Avec les cours du soir, j’ai passé mon bac, je suis inscrit à Broussais, j’ai passé l’internat en cardiologie puis en chirurgie. » Et il a atterri à Alençon pour un remplacement qui se prolongera quelques décennies. Sa liberté, ce sera d’être libéral.
« Quand on a été pauvre et qu’on sort de la guerre, la médecine, c’est formidable », s’exclame le Dr Lyon. 5 000 visites et 3 500 consultations annuelles au compteur. Des joies, comme ce prématuré en arrêt cardiaque qu’il ranime, ce cancer du pancréas qu’il diagnostique à son début, sauvant le malade. Tous ces temps d’écoute, jamais à tu et à toi, dans la mémoire et l’attention portée à chaque histoire de famille, dans l’empathie, mais avec réserve. « Bon, des déceptions parfois, concède-t-il, comme quand un patient va voir ailleurs et ne vous reconnaît plus dans la rue. Mais jamais de ras-le-bol. » Et un coup dur, quand son épouse, qui l’a secondé toute sa vie, est décédée voici trois ans d’un cancer.
À son âge, les avancées médicales ne risquent-elles pas de le distancer ? « Il suit les publications et il oriente vers le spécialiste aussitôt que nécessaire », proteste Mme Leveillé, qui se dit toujours impressionnée par la qualité du suivi de ce dinosaure. Et sa secrétaire, jeune septuagénaire, l’assiste tous les jours.
Toujours amateur de chasse avec son chien, grand lecteur (il a toute la collection de la Pléiade), solitaire dans sa grande maison, le Dr Lyon cite les poètes et les penseurs : « Il faut se séparer de la foule pour penser et s’y confondre pour agir » (Pascal). Cet été, quelques jours en Bretagne, mais le cabinet du Dr Lyon ne fermera pas plus. « Je ne sais faire que de la médecine », confie-t-il. Alors, le capitaine du Titanic médical restera sur le pont de Courteilles. Avec une seule appréhension à l’horizon : « Quand j’ai fêté mes 80 ans, puis mes 85 ans, les télés ont débarqué avec les journalistes. Alors, pour mes 90 ans, je ne vous dis pas la mêlée ! » Sans fausse modestie, Jean-Pierre Lyon se reconnaît comme le probable doyen des généralistes qui continue de mener un exercice à temps plein. Forcément, cela finit par se savoir dans les rédactions.
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