Igor Giusti, directeur de la Fédération corse pour la coordination et l’innovation en santé, insiste : « La clé du projet, c’est vraiment la coopération. Ni l’hôpital seul ni la médecine de ville seule ne pouvaient relever ce défi. C’est en associant nos forces que nous avons trouvé une solution. »
La Corse ne compte que deux services de soins médicaux et de réadaptation cardiaque (SMR), situés à Ajaccio et Bastia. Pour les patients vivant à plus d’une heure de route, suivre un programme complet était quasi impossible. D’où le projet Eva Corse, lancé en 2021 dans le cadre expérimental de l’article 51 qui propose une prise en charge de réadaptation cardiaque hybride, à la fois à l’hôpital et en ville.
Tout commence par l’identification des patients, essentiellement réalisée par les généralistes traitants en maison de santé. « Ça marche peu lorsque le médecin seul est déjà surchargé, explique Igor Giusti. En revanche, quand il est au sein d’une équipe de la maison de santé, ça fonctionne beaucoup mieux. Infirmiers, kinés, médecins, chacun peut signaler un patient à risque. »
Le parcours du patient repéré débute à l’hôpital. Durant les six premières séances, qui se déroulent dans l’un des deux SMR corses, l’équipe soignante évalue les risques et sécurise le suivi. Le cardiologue supervise, classe les patients et décide de la suite. Ensuite, si l’état du patient le permet, la réadaptation se poursuit dans l’une des huit maisons de santé de l’île qui participent au projet.
Coordination ville-hôpital
C’est le cas de la maison de santé Domus Medica, à Calenzana, qui compte trois généralistes, dont la Dr Françoise Corteggiani. Quatorze séances de rééducation sont prévues par groupe de cinq ou six patients, qui « échangent ainsi sur leurs expériences », apprécie la médecin. « Ceux qui n’ont jamais eu d’accident cardiaque voient ce que ça peut donner, et ça les motive à changer leurs habitudes », poursuit-elle, satisfaite de voir la parole se libérer, ce qui permet aux soignants de mieux appréhender les difficultés des patients. « Les jeunes hommes qui prennent des bêtabloquants évoquent spontanément leurs problèmes d’érection en groupe. C’est un sujet qu’ils n’aborderaient pas avec moi en face-à-face », illustre la Dr Corteggiani. Au fil de l’expérimentation, le travail d’équipe s’adapte pour cibler à la fois des personnes ayant déjà eu un accident cardiaque et celles à haut risque. « Notre but, c’est d’inclure le maximum de gens pour éviter que le premier accident arrive » se félicite la praticienne.
Notre but, c’est d’inclure le maximum de gens à risque pour éviter que le premier accident arrive
Dr Françoise Corteggiani, généraliste à Calenzana
Un logiciel partagé relie l’hôpital et la ville. Chaque séance d’une durée de trois heures réalisée en maison de santé y est renseignée : exercices effectués, observations, incidents éventuels. Le cardiologue du SMR garde ainsi un œil à distance et peut réajuster la prise en charge et le programme. Sur le terrain, ce sont les kinésithérapeutes, infirmiers, diététiciens, professionnels de l’APA (activité physique adaptée) qui animent les ateliers. Le généraliste reste en veille, prêt à intervenir en cas de problème. Mais certains s’impliquent aussi directement dans l’éducation thérapeutique, comme la Dr Corteggiani et ses deux confrères de Calenzana. « Nous proposons nous-mêmes des ateliers. J’en anime deux, un confrère en fait un également, et un troisième médecin est en cours de formation », raconte-t-elle.
« L’incitation financière a son importance »
L’expérimentation teste aussi un modèle de financement inédit fondé sur une rémunération forfaitaire partagée entre l’hôpital et la maison de santé, elle-même complétée par une prime d’efficience et une prime qualité liée aux résultats. Pour une séance de cinq patients, le forfait total s’élève à 674 euros (417 euros pour la MSP et 257 euros pour le SMR). « L’incitation financière a son importance, rappelle Igor Giusti. Mais au fond, ce projet a permis de casser les cloisonnements. Nous avons démontré que la coordination entre ville et hôpital, ce n’est pas un slogan, c’est une réalité concrète au service des patients. » Dans son évaluation finale en avril 2025, Eva Corse affiche un bilan positif. La qualité de vie post-accident cardiaque aigu (infarctus du myocarde ou insuffisance cardiaque) de 305 patients s’est améliorée et leur adhésion au programme de réadaptation a été renforcée.
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