Ils sont une centaine venant du monde entier à patienter dans l’antichambre du Centre national de gestion (CNG), qui tient leur destin et leur carrière entre ses mains. Ces médecins Padhue qui ont reçu leur diplôme en dehors de l’Union européenne et veulent soigner en France ont passé et réussi en novembre 2024 le concours des EVC. Ces épreuves de vérification des connaissances sont la première étape indispensable du long chemin des Padhue vers l’autorisation définitive d’exercice sur le sol français et une inscription au tableau de l’Ordre.
La session de l’année dernière a été émaillée de plusieurs couacs, suscitant au fil des mois une crispation grandissante pour ces médecins seniors, qui travaillent pour certains en France depuis de nombreuses années mais sous des statuts particulièrement précaires.
Date butoir du 14 novembre
L’an passé, 3 873 Padhue ont été reçus aux EVC : 3 235 ont été admis sur liste principale et 638 sur listes complémentaires. Sur ces secondes listes (ouvertes dans certaines spécialités en cas de désistements sur liste principale), on trouve notamment 335 postes en gériatrie, 50 en orthopédie, 41 en pédiatrie et 31 en dermatologie.
Le CNG, qui gère les carrières médicales en établissements de santé, a phosphoré tout au long du printemps sur les affectations de la liste principale. Mais au cœur de l’été, l’entreprise ayant pris du retard, les Padhue lauréats sur liste complémentaire ont senti le nœud de l’angoisse se resserrer autour de leur cou. En cause : le risque de perdre le bénéfice du concours faute de poste trouvé avant le 14 novembre.
Au 22 août finalement, le CNG, ayant bouclé les affectations de la liste principale et après discussion avec les ARS et les hôpitaux, a pu ouvrir dans les spécialités concernées l’accès aux postes sur listes complémentaires. Sur les 638 lauréats, plus de 500 avaient trouvé fin septembre chaussure à leur pied. Mais, de l’aveu du CNG, ils sont encore une centaine à la recherche d’un poste en ce début octobre.
Situation « extrêmement anxiogène »
Parmi eux, la Dr Cecille Accioly, diplômée de chirurgie vasculaire au Brésil et FFI depuis quatre ans en France, sature du silence du CNG, de la direction générale de l’offre de soins (DGOS, autre interlocuteur des ARS et des hôpitaux pour l’identification des postes), des tutelles régionales et du ministère lui-même. La chirurgienne de 45 ans définit la situation des Padhue lauréats des EVC 2024 sur liste complémentaire comme « extrêmement anxiogène ». « Nous ne savons plus vers qui nous tourner pour nous faire entendre, explique-t-elle dans un français parfait. Un an après avoir passé le concours, nous n’avons aucun contact avec le CNG, aucune nouvelle sur notre avenir immédiat. Pour beaucoup, nous avons des enfants, des familles. Changer de vie ne se fait pas du jour au lendemain. »
Pour éviter une forme de harcèlement contre-productif, la Dr Accioly s’est fait la porte-parole informelle d’un petit groupe de quelque 35 Padhue lauréats mais toujours sans affectation, qui échangent régulièrement sur une boucle de discussion de la messagerie Telegram. Tous les jeudis, à 11 heures, elle tente de joindre le CNG pour obtenir des informations pour elle et ses confrères. En vain. La chirurgienne a postulé à Carcassonne mais le chef de service a mis son veto, au principe qu’elle n’était pas au niveau. Le poste risque donc de rester vacant. Elle pourrait se retrouver à démarcher pour un poste d’urgentiste par défaut. Un stress de plus.
En France, tout le monde se plaint des déserts médicaux. Moi, je suis prête à travailler, à faire des gardes, à m’investir
Dr Farida Kandil, gynécologue-obstétricienne algérienne
« On vit au jour le jour, vous n’avez pas idée de l’angoisse qui est en nous », confirme la Dr Farida Kandil, jointe en Algérie. Gynécologue-obstétricienne de 42 ans, elle veut « exercer [s]a spécialité d’une autre manière » que dans son pays. La préparation du concours des EVC, qu’elle passait pour la première fois, lui a pris un an. Dans sa spécialité, 250 postes étaient ouverts avec huit places au repêchage. « Nous sommes au moins cinq Padhue sur huit à ne pas avoir de postes car ceux qu’on nous propose n’existent pas ou n’existent plus », a-t-elle constaté. Amère après deux ans d’attente, cette praticienne ne comprend pas pourquoi les choses ne sont pas plus simples. « En France, tout le monde se plaint des déserts médicaux. Moi, je suis prête à travailler, à faire des gardes, à m’investir. Je le dis, je le réclame, mais personne ne me répond. » Et si elle perd le bénéfice des EVC, que fera-t-elle ? « Après deux ans d’attente et de révisions, déprimer, très certainement. »
Se projeter, mais comment ?
Cette problématique des postes « fantômes » se retrouve, aux dires de plusieurs Padhue, en neurochirurgie, gynécologie-obstétrique, gériatrie, psychiatrie et chirurgie orthopédique. Le Dr Candide Flatin en a fait les frais dans cette dernière spécialité. Médecin généraliste béninois spécialisé en orthopédie, en France depuis 2021, le Dr Flatin, 41 ans, a passé trois diplômes interuniversitaires pour parfaire sa formation. Il a réussi les EVC à la troisième tentative en étudiant toute l’année, se contentant d’assurer quelques gardes dans un service d’urgences de Seine-Saint-Denis. Mais aujourd’hui, il se sent « perdu dans les listes ».
« Je ne comprends pas le système, déplore-t-il. Je ne sais pas sur quoi le CNG se fonde pour ouvrir ou pas des postes où même comment il les attribue. Dans ma spécialité, les Padhue qui exercent en stagiaire associé ou FFI sont casés. Moi, j’ai volontairement pris du temps pour bien étudier, et je ne trouve pas de poste ! J’ai un enfant, je dois me projeter dans l’avenir, mais je ne peux pas. » Et de s’interroger : « Le ministre de la Santé Yannick Neuder nous avait promis qu’on aurait tous du travail, qu’on soit sur liste principale ou complémentaire. Que vaut cette promesse aujourd’hui ? »
Compensation pour les postes « fantômes »
À l’heure où l’instabilité politique a cédé le pas à la paralysie, cette question a un sens. Le CNG, cantonné à la gestion des affaires courantes, doit continuer à soutenir les Padhue dans leur parcours alors que de nouvelles décisions politiques sont bloquées en l’état et l’horizon des EVC 2025 également bouché. Dans ce contexte, le CNG s’emploie à se montrer rassurant. « La majeure partie du chemin est faite, indique au Quotidien Philippe Touzy, en charge du sujet au CNG. L’inquiétude des Padhue est légitime mais il nous reste du temps. »
Si, à la fin de la procédure, des Padhue sont encore en difficulté, nous les accompagnerons
Philippe Touzy (CNG)
Le CNG admet aussi l’existence de postes qui présentent des anomalies et indique que les ARS sont en train de faire un travail de nettoyage des listes. « Des actions sont en cours dans les établissements pour vérifier que les postes considérés comme ouverts le sont toujours, avec une possibilité de compensation quand ce n’est pas le cas, précise Philippe Touzy. Mais il faut se laisser dérouler l’offre et la demande. Et si, à la fin de la procédure, des Padhue sont encore en difficulté, nous les accompagnerons. Le ministre a pris un engagement que nous avons l’intention d’honorer. »
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