La santé des soignants, bientôt grande cause nationale ?

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Publié le 12/09/2025
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Deux ans après le lancement du chantier ministériel sur la santé des soignants, la mobilisation collective est là. Des actions concrètes se multiplient pour prévenir l’épuisement professionnel, améliorer la qualité de vie au travail et accompagner les professionnels en souffrance. Une feuille de route nationale est dans les tuyaux.

Selon un rapport ministériel, 62 % des médecins ont déjà traversé un ou plusieurs épisodes de burn-out

Selon un rapport ministériel, 62 % des médecins ont déjà traversé un ou plusieurs épisodes de burn-out
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Longtemps angle mort des politiques publiques, la santé physique et mentale des soignants apparaît aujourd’hui comme une préoccupation majeure. Cette prise de conscience s’est nourrie d’études qui mettent en évidence la gravité de la situation, au point que ce chantier pourrait devenir la grande cause nationale de 2026.

Le constat est connu : un rapport ministériel de 2023, point de bascule, révélait que 62 % des médecins avaient déjà traversé un ou plusieurs épisodes de burn-out. En 2025, une enquête menée par l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS) et Doctolib montrait que 63 % des praticiens libéraux terminent leur journée de travail épuisés. La situation est encore plus alarmante chez les étudiants en médecine : selon une étude réalisée en 2024 par leurs principaux syndicats (Anemf, Isni, Isnar-IMG), 21 % déclaraient avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois.

Nous avons longtemps pensé que le dévouement des soignants était inépuisable. Aujourd’hui, nous savons qu’il faut prendre soin de ceux qui soignent

Dr Éric Henry, président de SPS, médecin généraliste à Auray

« Nous avons longtemps pensé que le dévouement des soignants était inépuisable. Aujourd’hui, nous savons qu’il faut aussi prendre soin de ceux qui soignent », a cadré le généraliste Éric Henry, président de SPS, lors du 11e colloque national de l’association fin août au ministère de la Santé. Désormais, se réjouit-il, « on n’est plus seulement dans le constat, on construit et on avance avec des solutions ». « Soigner ne doit pas faire souffrir », a martelé aussi Catherine Cornibert, directrice de SPS, souhaitant agir à grande échelle.

De fait, au-delà des dispositifs institutionnels d’écoute et de soutien psychologique, la prévention du mal-être des soignants passe d’abord par la formation. C’est ainsi que plusieurs filières de santé ont commencé à intégrer des modules sur les risques psychosociaux dès le cursus initial tandis que des DU ciblés se développent, par exemple en management hospitalier, comme à Montpellier. Prévention mais aussi répression pour mieux protéger les blouses blanches : le législateur s’est emparé du sujet avec la loi adoptée cet été visant à renforcer la sécurité des soignants en durcissant les sanctions et en facilitant les dépôts de plaintes.

Changement de culture

Parallèlement, des initiatives ont essaimé, portées par des associations, acteurs privés ou collectifs de soignants, qui créent des espaces d’entraide et de soutien. L’ouverture de « maisons des soignants », à l’initiative de l’association SPS, est un exemple emblématique de prise de conscience. Après Paris en 2021, une deuxième structure s’apprête à voir le jour à Reims, avec le soutien de l’ARS Grand Est. Conçues comme des lieux d’accueil et même de « refuge », ces espaces offrent aux blouses blanches, sur rendez-vous, des consultations avec des psychologues formés à l’accompagnement et à la reconversion. Des permanences administratives et juridiques animées par des experts ont également été mises en place. « Nous voulons un changement de culture, résume Lamia Himer, déléguée territoriale à l’ARS Grand Est. Pour cela, nous souhaitons aider les soignants à solliciter de l’aide ».

Montrer nos vulnérabilités ne fait pas de nous de moins bons soignants

Dr Candice Delbet-Dupas, PH de chirurgie maxillo-faciale au CH de Vichy

Certains médecins s’emparent du sujet. La Dr Candice Delbet-Dupas, chirurgienne maxillo-faciale au CH de Vichy, a lancé les Bazars de la santé, un centre qui a pour vocation d’accueillir les soignants avant qu’ils ne soient en difficulté. En assumant ses fragilités, elle entend briser les tabous. « Montrer nos vulnérabilités ne fait pas de nous de moins bons soignants : au contraire, cela nous rend plus humain », a-t-elle plaidé au colloque de SPS. Son projet démarre en septembre avec un podcast hebdomadaire, destiné à partager chiffres, témoignages et ressources pour déstigmatiser la santé des soignants. À terme, la chirurgienne souhaite créer une association loi 1901 et un « centre de ressources », où les professionnels pourraient être accompagnés par des pairs formés.

Signaux faibles

Des initiatives privées se multiplient. Face à la souffrance liée aux usages numériques, Doctolib affirme avoir formé ses équipes, en contact quotidien avec un millier de soignants en France, afin de « repérer les signaux faibles et orienter les professionnels en difficulté administrative », avance Jean-Urbain Hubau, DG France de la plateforme. Un autre axe d’action est de soutenir les praticiens dans l’organisation de leur activité. « L’objectif est d’accompagner nos utilisateurs lors de moments sensibles comme un changement de cabinet ou un congé maternité », poursuit-il. La licorne prévoit de lancer « dans les prochains mois » des campagnes de sensibilisation à destination des patients pour encourager des comportements plus respectueux.

L’amélioration de l’environnement de travail constitue un autre levier. Sodexo Santé a lancé « Docteur House », plateforme qui accompagne les professionnels de santé dans leur installation, la gestion du cabinet ainsi que dans les tâches administratives et organisationnelles. L’entreprise propose également de former les médecins managers aux bases de la gestion et de l’organisation.

Cinq groupes de travail planchent

Deux ans après le rapport ministériel sur la santé des soignants, un comité chargé d’une feuille de route a été installé en juin dernier à trois niveaux : comité stratégique (administration centrale de la santé, agences et opérateurs), comité plénier (Ordres, fédérations employeurs, syndicats, associations étudiantes et acteurs de terrain) et cinq groupes de travail thématiques : formation/recherche/numérique ; santé mentale/bien être ; publics prioritaires dont les étudiants ; souffrance au travail/prévention ; nutrition/sommeil/activité physique. Un suivi est programmé de septembre à novembre. Le séminaire national dévoilant les recommandations du comité est prévu d'ici à la fin de l'année.

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du Médecin