« Je souhaite témoigner pour que les autres confrères sachent à quoi ils doivent s’attendre en cas d’audition par les services de leur Cpam pour des prescriptions d’IJ qui sortent du lot », explique en préambule la Dr Mathilde de Sagazan, généraliste de 42 ans installée au sein d’un cabinet de groupe de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Vendredi 21 novembre 2025, la médecin a été la première des trois généralistes à être auditionnée par les services de la caisse primaire. Il est neuf heures du matin. Face à elle, le médecin-conseil directeur du service médical et l’adjointe de la directrice de la Cpam.
Première surprise. « Je pensais que j’allais devoir défendre mes arrêts de travail et en fait, non, ce n’est pas du tout ce qu’on me demande. Il n’a pas été vérifié si les IJ prescrits étaient justifiés ou non », s’étonne la Dr de Sagazan. Il s’agissait en définitive d’essayer de comprendre les raisons d’une anomalie statistique. En l’occurrence, le score atteint par la praticienne « de 12,3 [IJ, NDLR] par patients actifs quand la moyenne est de 5,1 ». Mais nul besoin de faire l’objet d’une convocation pour en expliquer les causes, s’agace la Dr de Sagazan.
Décision discrétionnaire
« J’ai un exercice atypique, explique-t-elle. Je fais beaucoup de visites à domicile. Ma patientèle est constituée de populations précaires. De plus, je suis attentive à la santé mentale au travail et j’ai des psychologues qui m’adressent des patients. J’ai donc un biais de recrutement. »
Son sentiment au sortir de l’audition ? « J’ai trouvé mes interlocuteurs réceptifs à ce que je disais. Ce n’était pas désagréable comme échanges, ils voulaient chercher à comprendre. »
Mais, deuxième surprise, outre la présence de l’adjointe de la directrice qui lui interdit de discuter des dossiers médicaux avec le médecin-conseil, secret médical oblige, la fin de l’entretien laisse un goût amer à la généraliste. « Ce qui m’a déplu, c’est que l’adjointe m’a précisé qu’elle ne sera pas la décisionnaire de ma mise sous objectif [MSO, procédure destinée à réduire les prescriptions de 20 à 30 % pendant six mois, NDLR] ou non ». Cette décision, discrétionnaire, revient à la directrice de la Cpam sur la base des recommandations de son adjointe. « À quoi sert l’entretien que j’ai passé en fait ? », s’interroge Mathilde de Sagazan.
Soutenue par 70 généralistes
Pour autant, la quadragénaire estime s’être « bien défendue », avec l’appui d’un généraliste conseil à ses côtés, et le soutien des quelque 70 généralistes de la région qui avaient fait le déplacement en solidarité avec les trois généralistes auditionnés, à l’appel du Collectif pour une médecine libre et indépendante du département, le Comeli 64. « Cette solidarité, je ne l’oublierai pas et je suis toute prête à rendre la pareille. Si des confrères ont un jour besoin de moi, je serai là. » La Dr de Sagazan admet avoir connu de grands moments d’anxiété durant le mois qui a précédé son audition. Insomnies à la clé.
Comme ses deux confrères, elle devrait être fixée sur son sort début décembre. Ces trois médecins ne sont pas les seuls concernés par une éventuelle MSO de la part de leur caisse. « Les Pyrénées-Atlantiques ont cette particularité d’avoir deux Cpam, une à Bayonne et une à Pau. Entre 12 et 18 médecins généralistes ont fait l’objet d’un entretien confraternel et pourraient être convoqués pour une audition », estime la Dr Claire Cadix, membre du Comeli 64 de la première heure. Pas la meilleure façon de préparer sereinement les fêtes de fin d’année.
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