C’est une affaire digne d’un roman policier, mais dont les personnages principaux sont, hélas, trois médecins généralistes messins. Mis en examen en fin de semaine dernière et actuellement sous contrôle judiciaire, les praticiens sont soupçonnés d’avoir prescrit complaisamment des produits de substitutions à l’héroïne à des dizaines de patients. « C’est une affaire regrettable et catastrophique pour l’image des médecins », explique au Généraliste le procureur de Metz, Pierre-Yves Couilleau, qui a assorti la mise en examen des trois prévenus d’une interdiction provisoire d’exercer la médecine. De son côté, l’avocat d’un des mis en cause,
Me Michel Vorms, assure, à l’inverse, que son client a été « victime de chantage, de pressions et de menaces de la part de ses patients toxicomanes. Il avait d’ailleurs engagé un vigile pour se protéger ».
L’affaire remonte en réalité à l’automne 2011. Les investigations menées par la brigade des stupéfiants de la Sûreté départementale permettent alors l’arrestation à Metz de plusieurs toxicomanes revendant du Subutex dans la ville. Condamnés en avril 2012 à deux ans de prison ferme pour trois d’entre eux, et un an pour le quatrième accusé, les revendeurs apportent à la barre du tribunal leurs lots de révélations. « Lorsque nous les avions questionnés, ils nous avaient expliqué que Metz était connu comme un lieu où certains médicaments étaient prescrits facilement par plusieurs médecins », confirme le magistrat.
Après des recoupements avec les fichiers de la CPAM, les enquêteurs de la police judiciaire de Metz et du Groupement d’intervention régional flairent la supercherie. Des ordonnances suspectes sont régulièrement délivrées par trois généralistes. Alors que le dosage maximal préconisé par les autorités sanitaires est de moins de 100 boîtes annuelles, certains patients se font prescrire jusqu’à 1 800 boîtes en un an ! Détail particulièrement compromettant : la justice reproche également aux médecins d’avoir délivré plusieurs ordonnances à une seule personne qui disposait de plusieurs cartes Vitale en facturant autant de consultations que de prescriptions. Le préjudice se monterait à 2 millions d’euros pour l’Assurance Maladie.
45 % des toxicomanes de la ville sous substituts aux opiacés
Le comportement des trois praticiens explique-t-il que la Moselle soit classée au premier rang des départements consommateurs de Subutex, comme l’a relevé l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT) ? Ou bien est-il possible que le nombre important de prescriptions réalisées par ces médecins généralistes ne soit lié en réalité qu’à la présence très importante de consommateurs de drogues dans la région ? « Ce n’est pas parce qu’il y a une prévalence de toxicomanes dans le secteur qu’ils en sont arrivés là, mais parce qu’ils prescrivaient hors cadre », répond tout de go le Dr Pierre Truffy, coordinateur du Réseau ville-hôpital d’addictologie de Metz-Thionville. Confirmant la « prédominance dans la région messine de toxicomanes aux drogues dures », le généraliste explique qu’elle n’en est pas moins égale à celle des grandes agglomérations comme Marseille ou Lyon. Sur la ville, 45 % des consommateurs de drogues dures sont traités par des substituts aux opiacés, principalement par buprénorphine, selon l’état des lieux réalisé par l’addictologue. Cette affaire est d’après lui un « mélange de laxisme et d’intéressement. Il y a quand même eu malversations par rapport à la caisse ».
Entre soulagement et surprise
Pour l’heure, ce médecin se montre soulagé par ces interpellations : il estime qu’ainsi, cette situation, qui n’est pas « représentative du secteur » va pouvoir « se débloquer ». Dans le monde médical de la ville, l’annonce de la mise en garde à vue des trois généralistes en a surpris d’autres. « Je trouve cela vraiment regrettable. Il doit y avoir une explication. J’ai du mal à imaginer que des médecins puissent faire cela », s’étonne Sophie Siegrist, généraliste à Metz. Pour le Dr Hélène Garde-Marty, il est possible que le médecin prescrive plus « pour éviter les ennuis ». Le conseil départemental de l’Ordre des médecins a de son côté déjà fait savoir que des sanctions disciplinaires seraient engagées dès réception de la totalité du dossier de l’instruction. Une étude réalisée par la CPAM est actuellement en cours en Lorraine et devrait déboucher sur un plan d’action régional dans le courant de cette année.
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