« Et les remplaçants : le beurre, l’argent du beurre, les maigres avantages de ceux qui s’engagent en s’installant… que vous faut-il de plus : être salariés en restant chez vous ? », lance le Dr Bruno B, Rouen. « Les remplaçants ne sont pas des esclaves… », lui rétorque le Dr Marie B, Chauvigny. Ces deux points de vue publiés sur legeneraliste.fr résument bien les réactions parfois épidermiques que suscitent les remplaçants. Quand ces derniers regrettent d’être laissés sur le bord de la route face à des évolutions du métier, certains de leurs confrères installés s’étonnent de les voir râler alors qu’ils les considèrent déjà comme bien lotis.
Ces dernières années, le nombre de remplaçants est en nette augmentation : + 24,6 % sur 10 ans. En 2017, l’Ordre en recensait 12 011. Le CNOM prédit même que d’ici à 2025, ce chiffre pourrait atteindre 14 300. Parmi eux, 8 023 exercent la médecine générale. Âgés en moyenne de 41,5 ans, il s’agit à 62 % de femmes. Mais si l’on s’intéresse à cette spécialité uniquement, les effectifs sont en réalité plutôt constants. Certes les retraités actifs, y compris chez les remplaçants, augmentent. Mais pour ceux de moins de 40 ans, l’évolution est stable. Par ailleurs, la proportion de remplaçants par rapport à l’ensemble des médecins reste la même, en moyenne 4 % depuis dix ans. Malgré tout, le rapport de force a évolué depuis quelques années. « Aujourd’hui, la situation est favorable aux remplaçants puisque les offres ne manquent pas. La rétrocession, c’est la loi de l’offre et de la demande. À une époque, c’était 50 %, aujourd’hui on est davantage sur 70 % d’honoraires rétrocédés », souligne le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. « Les remplaçants que je vois, ce sont plutôt les rois du pétrole, en dehors des problématiques de protection sociale », ajoute-t-il. Ces dernières ont pourtant leur importance.
Les oubliés des réformes ?
En mars dernier, quand a été signé l’avenant conventionnel ouvrant un avantage maternité supplémentaire pour les médecins, ils ont peu apprécié d’être oubliés. Le Regroupement autonome des généralistes, jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR) était alors monté au créneau pour s’en indigner. Au-delà de la maternité, le problème de la protection sociale en général est l’un des griefs principaux des remplaçants, chez qui on trouve « beaucoup de statuts intermédiaires. Les non thésés par exemple ont zéro prévoyance. De plus, la CARMF peut décider en cas de pathologie antérieure, par exemple un diabète qui se déclare pendant l’internat, de ne pas couvrir les remplaçants ou les jeunes qui débutent, même s’ils cotisent. Il y a six ans de carence », explique le Dr Yannick Schmitt, vice-président.
Des revendications illégitimes pour certains
Mais la protection sociale n’est pas le seul domaine pour lequel les remplaçants s’estiment lésés. Non conventionnés, ils ne participent pas à l’évolution de la profession et sont écartés notamment des négociations conventionnelles qui décident de l’évolution de la rémunération. Depuis plusieurs années, ReAGJIR demande une convention et une ROSP spécifiques aux remplaçants. « Certains médecins remplacés “oublient” dans le calcul de la rétrocession les ROSP, forfaits ALD, médecin traitant (MT), majoration pour personnes âgées (MPA), ce à quoi contribuent par définition les remplaçants. Un calcul “comme au bon vieux temps” me paraît dépassé avec ces nouveaux modes de rémunération », souligne ainsi le Dr Bruno C, remplaçant à Rouen. Cette revendication est parfois mal comprise par leurs pairs installés. « Certains médecins remplaçants n’ont aucune idée de la paperasse financée par les ROSP, et tant qu’ils ne sont pas installés, ils n’ont pas à toucher ces forfaits », considère le Dr Anne-Claire B, généraliste à Nantes. « Ils vivent vraiment sur une autre planète. Ils veulent tous les avantages et zéro inconvénient. Leurs demandes sont proprement indécentes et prouvent leur déconnexion de la réalité du terrain qu’ils affirment pourtant connaître, et surtout leur égoïsme », s’agace Jean-Louis I., généraliste à Angoulême. Pour les syndicats seniors, si ces demandes sont légitimes, elles ne peuvent pas donner lieu à une égalité de traitement. « Il faut regarder en quoi le remplaçant participe au suivi d’une patientèle et quelle contrepartie il peut y avoir. Je ne pense pas que les forfaits devraient être partagés, mais ça me paraît plutôt intéressant de réfléchir à une ROSP spécifique aux remplaçants pour qu’ils soient eux aussi astreints à des objectifs de qualité », estime le Dr Claude Leicher, président de MG France.
Ne pas leur forcer la main
Les différences de statut permettent aussi de dessiner une évolution jusqu’à l’installation. « Le but n’est pas de conforter un statut plus qu’un autre et encourager à rester 30 ans remplaçant. Les statuts ont du sens, on sait qu’aller vers l’exercice libéral peut faire peur. C’est une grosse marche : on a essayé d’en mettre des petites », explique ainsi le Dr Luc Duquesnel, faisant ainsi référence aux statuts d’assistant et de collaborateur libéral. Pour certains, les remplaçants sont autant de praticiens fixés en moins. « S’ils venaient à s’installer tous au même moment, il y aurait moins de problèmes démographiques. Certains y trouvent des avantages. Je connais de nombreux jeunes qui remplacent, ils gagnent leur vie pendant quinze jours, ont assez pour vivre les quinze autres et vont aux sports d’hiver ou travailler ailleurs », déclare le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie du CNOM. Malgré cela, on est quand même loin des propositions de l’ancien président de l’Ordre, le Dr Michel Legmann, qui voici huit ans voulait limiter ce statut dans le temps. « L’idée n’est pas de punir les remplaçants, considère Claude Leicher. Ils nous permettent à nous, médecins installés, de nous absenter et nous former. Ils rendent un réel service. » Un point de vue partagé par Luc Duquesnel : « Ce n’est pas en limitant le temps de remplacement qu’ils vont s’installer. Il faut en avoir envie et ce n’est pas sous la contrainte que ça se fait. Et puis ces remplaçants, quand ils viennent dans nos zones à faible démographie médicale, nous sommes bien contents de les trouver. »
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