En Belgique, l’informatisation n’est pas un long fleuve tranquille. Des bugs en série sont venus rappeler les limites d’un système déployé à marche forcée par la ministre fédérale de la Santé, Maggie De Block. En cause : eHealth, la plateforme électronique d’échange de données médicales. Instable, l’outil a enregistré le 27 janvier une panne générale, mettant à l’épreuve l’ensemble de la profession.
« Service désastreux »
Les réactions furent corsées. Domus Medica, l’association flamande des médecins généralistes a dénoncé une « négligence coupable qui met directement en danger la santé du citoyen ». De son côté, l'Association belge des syndicats médicaux (ABSyM) juge que « ce service désastreux fragilise la crédibilité du système ».
L’ire des médecins s’explique par un concours de circonstances fâcheux : ces errements techniques interviennent au moment même où la prescription électronique devient obligatoire en Belgique (depuis le 1er janvier 2020). Autrement dit, les professionnels ont le sentiment d’être contraints d’utiliser un système qui n’est pas fiable.
« Les soucis sont récurrents depuis le début », témoigne le Dr David Simon, généraliste à Colfontaine, dans la province du Hainaut. « Il s’agit de plusieurs pannes courtes par mois (entre un quart d’heure et une demi-heure) et d’interruptions plus longues. La dernière a duré 6 heures ! » Des dysfonctionnements qui privent les médecins de services devenus précieux : la prescription électronique, la vérification d’assurabilité du patient, son observance thérapeutique ou la création du dossier médical global (qui donne lieu à des primes). « On nous oblige, assez brutalement d’ailleurs, à abandonner le papier. Et nous nous retrouvons contraints aujourd’hui d’y recourir d’urgence dès que le système flanche. C’est surréaliste. »
Du grain à moudre pour les anti-informatisation
« Une demi-journée de panne, c’est dix patients qui repartent avec des ordonnances papier désormais plus conformes au système des pharmaciens, et qui risquent de se voir refuser le remboursement des médicaments », ajoute le Dr Caroline Depuydt, psychiatre en clinique à Bruxelles, utilisatrice d’eHealth depuis six mois.
Pour les médecins, la question n’est pas tant le bien-fondé de l’informatisation que sa fiabilité qui est posée. « Je soutiens totalement l’informatisation. La plateforme est bénéfique dans ma pratique, mais les pouvoirs publics doivent se donner les moyens de la rendre opérationnelle à 100 % », souligne le Dr Depuydt. Peu prompts au mea culpa, les gestionnaires de la plateforme doivent se réunir pour « analyser minutieusement les possibilités d’amélioration ».
Dans cette affaire, la ministre de la Santé cristallise les rancœurs. « Elle refuse le dialogue et ne s’occupe que de son propre agenda politique », déplore le Dr Philippe Devos, anesthésiste hospitalier à Liège, usager de l’eHealth depuis un an. Sa stratégie jugée « coercitive » et « précipitée » est à ses yeux contre-productive : « Je suis pour l’informatisation, elle est utile et même urgente. Mais ces bugs sont un très mauvais signal : ils alimentent la méfiance vis-à-vis de l’informatique et donnent de précieux arguments aux sceptiques ».
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