Fondée il y a dix ans à Toulouse – après une vague de suicides de médecins – pour accompagner les soignants en souffrance, l’association MOTS (médecin, organisation, travail, santé) alerte sur l’état de santé dégradé de la profession et appelle à une prise de conscience nationale.
Implantée dans huit grandes régions, l’association propose une écoute téléphonique accessible 24h/24* et un accompagnement thérapeutique de long terme effectué par des médecins effecteurs formés à la santé au travail, avec une orientation au besoin vers d’autres professionnels de santé. « Le tout dans un contexte confidentiel, confraternel, bienveillant et gratuit », assure le Dr Jean Thévenot, gynécologue-obstétricien à Toulouse et président de MOTS.
« Depuis dix ans, nous avons accompagné 1 500 médecins et nous sommes ouverts depuis 2018 aux autres soignants [dentistes, infirmiers, kinés, podologues, pharmaciens et sages-femmes], précise-t-il. Nous comptons entre 250 et 300 soignants par an dans notre file active dont 85 % de médecins et notre activité a bondi de 200 % ces cinq dernières années, Parmi les appelants, MOTS recense 50 % de généralistes, 65 % de femmes, près de 3 % d’internes et 40 % de salariés. »
« Incapable de prendre mon astreinte »
Initialement créé pour les libéraux, MOTS a été rapidement sollicitée par des hospitaliers en souffrance qui ne souhaitaient pas faire appel aux médecins du travail présents dans leurs établissements. Cela a été le choix du Dr Sophie Balestat, en 2019. « J’étais praticien hospitalier à mi-temps, détachée pour faire de l’hospitalisation à domicile et également médecin dans une équipe mobile de soins palliatifs. J’avais ressenti plusieurs périodes de forte anxiété dans mon travail, mais je ne m’écoutais pas forcément. Jusqu’au jour où je me suis sentie incapable de prendre mon astreinte, j’étais tellement épuisée que j’avais peur de commettre une erreur médicale », raconte la jeune femme.
En arrêt maladie, elle contacte l'association sur les conseils d’un confrère et entame un suivi de plusieurs mois. « Ça m’a permis de faire un travail sur moi-même, sur mon mode d’exercice, les raisons qui m’avaient conduite à l’épuisement. J’ai trouvé beaucoup de bienveillance, à l’opposé de l’hôpital où je ne me sentais pas du tout écoutée. Aujourd’hui, j’ai repris mon activité mobile en soins palliatifs, mais je me suis aussi installée en libéral en plaies et cicatrisations. »
Pression supplémentaire dans les déserts médicaux
Si l’épuisement, les pathologies psychiques et les conflits sont les motifs d’appels les plus fréquents, les médecins effecteurs membres de l’association – une dizaine – constatent aussi beaucoup d’idées suicidaires parmi les soignants en détresse. « On en relève environ 13 % parmi les médecins que nous accompagnons, c’est bien plus que dans la population générale, et c’est alarmant car ils sont particulièrement exposés dans leur exercice, souligne le Dr Loïc Solvignon, coordonnateur médical à l’association. Certains ont accès aux moyens létaux, tous sont soumis à une très forte pression et la majorité tarde avant de demander de l’aide. Ils sont très souvent dans le déni. »
Parmi les autres effets aggravants du mal-être, l'association a identifié les problématiques de déserts médicaux. « C’est un phénomène très important dans des départements comme l'Orne ou l'Eure et cela ajoute une pression supplémentaire à des médecins qui se sentent parfois très seuls. C’est ce qui nous a convaincus d’ouvrir une antenne en Normandie », raconte le Dr Marc Durand-Reville, gynécologue à Rouen et vice-président de l’association.
Craquages
La crise sanitaire a-t-elle aggravé la situation ? « Jusqu’à présent, les médecins ont tenu et l’on voit apparaître seulement aujourd’hui les problématiques liées au premier confinement, mais les véritables "craquages" vont venir et il y a fort à parier que l’on se réveille avec une vraie gueule de bois dans les prochains mois », met en garde le Dr Jean Thévenot.
Pour ces raisons, l’association – qui bénéficie du soutien des ARS Occitanie et Nouvelle-Aquitaine avec un budget de fonctionnement de 460 000 euros en 2021 – souhaite que la santé des soignants soit reconnue comme une cause nationale. « Il nous faut des moyens pérennes car, dans notre pays, chaque soignant compte, insiste le Dr Marc Durand-Reville. Je suis inquiet de voir des difficultés de recrutement, des départs, des démissions dans les hôpitaux publics et privés et tous les "déplaquages" qui passent inaperçus. »
MOTS, numéro unique : 0608.282.589 (24h/24)
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique