IL Y A CET HOMME, atteint d’une embolie pulmonaire massive faute de reprise de traitement antithrombotique postopératoire, six jours après une cholécystectomie sous cœlioscopie. Il y a aussi cette femme, 55 ans, hospitalisée entre Noël et le jour de l’An pour une occlusion itérative : confondue avec une autre patiente (opérée par un chirurgien différent), elle est endormie pendant près d’une heure. Pour rien.
Ces erreurs médicales sont le résultat d’une mauvaise coopération entre chirurgien et anesthésiste lors d’une prise en charge hospitalière. Des situations dangereuses, faute de communication ou de coopération formalisée, signalées à 330 reprises en 2012 auprès de la HAS par les médecins impliqués dans le processus d’accréditation (1).
Conflits récurrents en postopératoire
Pour la première fois, une étude réalisée à l’occasion de la Journée de la Société française de chirurgie endoscopique s’interroge sur l’impact de la relation entre ces deux spécialités dans l’apparition de l’erreur médicale. 534 chirurgiens et 294 anesthésistes ont répondu à ce questionnaire, envoyé par la HAS début janvier. Trois sur quatre exercent en secteur privé. L’enquête s’attarde sur le pré et surtout le postopératoire, étapes clés dans la prise en charge du patient. Les chiffres le prouvent : en 2009, 209 patients hospitalisés ont subi 214 événements indésirables graves (EIG) associés aux soins. Parmi eux, seulement 21 se trouvaient au bloc. Trois erreurs sur quatre (164) étaient de nature thérapeutique. Et plus d’un tiers (59) sont considérées comme « évitables ».
Le questionnaire montre que 42 % des chirurgiens et anesthésistes interrogés déplorent « un ou des conflits » avec leur confrère (de l’autre spécialité) « concernant la prise en charge d’un patient dans le cadre de la surveillance postopératoire ». Quatre chirurgiens sur dix estiment que le travail de l’anesthésiste est « passable » ou « insuffisant », quand seuls deux anesthésistes sur dix pensent la même chose de leur confrère.
Pilote et aiguilleur du ciel
L’étude révèle des incohérences dans la distribution et la reconnaissance des rôles de chacun dans la prescription postopératoire faite au bloc (antibiotiques, anticoagulants, antalgiques, perfusions, transfusions et reprise de l’alimentation). Plus de sept anesthésistes sur dix disent être à l’origine de ces prescriptions, ce que reconnaissent seulement quatre chirurgiens sur dix. Dans le détail, 92 % des anesthésistes affirment qu’en hospitalisation conventionnelle, les prescriptions d’antalgiques relèvent « toujours ou le plus souvent » de leur fait. Mais seul un chirurgien sur deux pense de même... Les chiffres sur la prescription d’antibiotiques sont tout aussi troublants : 67 % des anesthésistes disent être les principaux prescripteurs, mais presque autant (60 %) de chirurgiens affirment la même chose les concernant.
Au cœur de ces contradictions se trouve le manque de culture commune dans la gestion du risque, malgré les outils dont disposent les médecins (encadré). « Le tandem chirurgien-anesthésiste est comme celui du pilote-aiguilleur du ciel, compare le Dr Alain Deleuze, chirurgien à Ales. Les deux métiers n’ont rien en commun mais ne peuvent exister l’un sans l’autre ». Le Pr Francis Bonnet, membre du collège français d’anesthésie-réanimation et chef de service à l’hôpital Tenon (Paris) détaille : « le chirurgien établit un contrat médical personnel avec son patient tandis que l’anesthésiste, qui travaille plus en équipe en périopératoire, n’a aucune démarche diagnostique à accomplir ».
En postopératoire, les deux spécialités se croisent trop rarement. Huit médecins sur dix admettent que les temps de visite sont différents entre les deux spécialités, indique l’enquête de la HAS. Et seul un médecin sur trois prescrit de façon partagée.
Des échanges à codifier.
Améliorer la sécurité des patients implique davantage de communication entre les spécialités de bloc. « Ces échanges doivent prendre une tournure systématique, codifiée et obligatoire », affirme le Pr Bonnet.
Selon les chiffres de la MASCF-Sou médical, 4 798 anesthésistes assurés ont adressé 198 déclarations en 2011, soit une sinistralité de 19 %. C’est deux fois moins que le taux de 44 % des 2 406 chirurgiens touchés par 279 plaintes. « Lorsqu’une erreur médicale advient pour un défaut de prescription d’anticoagulant en postopératoire, peu importe qui a fauté, conclut le Dr Jean-François Gravié, chirurgien à Toulouse. L’homme au bistouri sera toujours désigné comme responsable ».
(1) L’accréditation repose sur la volonté des spécialistes « à risques » de faire remonter des blocs opératoires des informations utiles pour réduire les événements indésirables et pour prévenir l’erreur médicale dans leur discipline. 1 700 anesthésistes-réanimateurs et 970 chirurgiens viscéraux y participent.
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