Médecin urgentiste libérale, le Dr M. L. nous décrit le quotidien anxiogène des praticiens qui se déplacent en visite la nuit dans des quartiers sensibles autour de Paris. Elle a été agressée plusieurs fois et souhaite garder l’anonymat.
LE QUOTIDIEN : En tant que médecin dans une association francilienne d’urgentistes libéraux, quels sont les problèmes que vous rencontrez dans les quartiers sensibles ?
DR M .L. : Cela fait des années que nous rencontrons des problèmes d’insécurité, principalement la nuit. Les maisons médicales de garde ferment à minuit, si bien que nous intervenons davantage la nuit que le soir. Nous nous rendons au domicile des patients dans des conditions parfois compliquées, notamment dans les cités. Ces quartiers sont maintenant très isolés car les pouvoirs publics ont souhaité les fermer à la circulation, on n’y a donc pas accès en voiture. Il faut marcher des centaines de mètres avant d’arriver devant le bon bâtiment, c’est dangereux.
Les agressions contre les médecins sont-elles fréquentes ?
Oui, ça arrive de plus en plus. La police, encore présente dans ces zones il y a quelques années, n’y vient plus la nuit. Personnellement, j’ai été agressée à plusieurs reprises. Lors de ma dernière garde, j’ai été poursuivie par des hommes à scooter dans une cité. Une autre fois, j’ai été séquestrée pendant une heure et demie avec une patiente. Une dizaine de policiers ont dû intervenir avec des flash-balls pour me libérer d’individus qui m’attendaient dans le couloir. Un de mes collègues a été tabassé par cinq mineurs, il a terminé à l’hôpital. Le motif peut être le vol de la sacoche ou le racket, mais il y a aussi des agressions aléatoires, pour rien, juste de la malveillance.
Il vous arrive de solliciter la police ?
Oui bien sûr, mais ils nous répondent qu’ils n’ont pas les effectifs suffisants et qu’ils ne peuvent pas se déplacer. La plupart du temps ils ajoutent qu’on ne devrait pas aller dans ce secteur ! Malgré tout, ils font tout ce qu’ils peuvent.
Comment font les médecins, livrés à eux-mêmes ?
Un médecin du SMUR nous a suggéré de faire nos visites avec un chien, ce qui est évidemment impossible. J’en connais qui le font, mais le chien ne peut pas aller au domicile du patient, ça ne résout rien. L’idéal serait qu’un policier nous accompagne à partir du parking dans les cas compliqués.
Ou alors, il faut nous permettre l’accès en voiture dans ces cités jusqu’au pied de l’immeuble. Il y a partout des barrières électriques dont nous n’avons pas le code. Il y a quelques années, on pouvait espérer qu’un membre de la famille descende nous chercher pour nous accompagner jusqu’au domicile. Maintenant, ils ne descendent plus la nuit, ils ont peur. Quant aux boîtiers qui permettent d’appeler la police sur simple pression d’un bouton, c’est très bien, mais avant que la police n’arrive, il peut se passer plein de choses…
Les attentats parisiens récents vous compliquent-ils davantage la situation ?
En tout cas, les médecins sont très inquiets. Nous sommes de moins en moins nombreux à vouloir prendre des gardes de nuit.
Certains de vos confrères ont-ils des moyens de défense pour se protéger ?
Non. On essaie de se renseigner mutuellement sur les quartiers sensibles, on a nos techniques, mais nous ne disposons pas de moyens de défense particuliers. Personne n’est armé, notre seule arme, c’est de ne pas traîner dans la rue. Nous sommes une cible comme les autres, notre statut de médecin ne nous protège de rien. On ne sait pas chez qui on va, on se déplace tout seul, et on finit à pied dans des cités où pas un véhicule ne circule.
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