« AUJOURD’HUI, on veut vraiment susciter un électrochoc face à ce problème de la perte d’attractivité de l’hôpital public. Il en va de l’avenir de notre spécialité et du maintien de la qualité et la sécurité des soins. En 2012, certains de nos hôpitaux fonctionnent dans des conditions indignes de notre République », affirme le Dr Nicole Smolski, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs élargi (SNPHAR-E).
Mi-octobre, ce syndicat a organisé, à Paris, un colloque sur la place des praticiens hospitaliers (PH) en anesthésie-réanimation à l’hôpital public. Avec une question centrale : comment donner envie aux praticiens, jeunes ou moins jeunes, d’y rester ou de venir y travailler ? « C’est un problème majeur, qui se pose d’ores et déjà de manière très concrète dans certaines régions sinistrées, comme le Centre, la Picardie, la Basse-Normandie et Champagne-Ardenne. Cela fait plusieurs années que certains collègues exerçant dans ces régions nous disent que la situation est devenue à la limite du supportable », souligne le Dr Smolski.
Lors de ce colloque, plusieurs études chiffrées ont été présentées, notamment par Danielle Toupillier, la directrice du Centre national de gestion (CNG) des praticiens hospitaliers et par le Dr Sylvia Pontone (unité recherche mortalité santé épidémiologie, hôpital Robert-Debré, Paris), démographe à l’Institut national des études démographiques (INED). « Aujourd’hui, on dénombre 10 704 anesthésistes-réanimateurs en France, dont 58,2 % sont salariés hospitaliers. Après une embellie jusqu’en 2007, le nombre de PH, dans notre spécialité, est passé de 4 700 à 4 200, soit une baisse de 10 % en seulement cinq ans. Et d’ici 2020, on devrait enregistrer une diminution de 1 000 à 1 500 anesthésistes-réanimateurs. Cette évolution à la baisse intervient alors que, depuis cinq ans, le nombre d’actes est lui passé de 8 à 11 millions par an. Conclusion : il y a de plus en plus de travail et de moins en moins de monde pour le faire », constate le Dr Smolski.
Autre chiffre : aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire, on recense 26 % de postes vacants en anesthésie-réanimation. « Mais dans certains endroits, la situation est encore bien pire, en particulier en Basse-Normandie (41 % de postes vacants), en Picardie (40 %) ou dans la région Centre (34 %). Dans l’impossibilité de recruter des PH de manière stable, les hôpitaux concernés sont obligés de faire avec les moyens du bord. Beaucoup se tournent vers les médecins étrangers. Ces dernières années, nous avons vu, par exemple, arriver beaucoup de collègues roumains. Leur niveau général de formation est bon, mais ce sont autant de praticiens qui laissent des postes vacants dans leur pays d’origine. La vérité oblige aussi à dire que tous les praticiens n’ont pas tous un niveau de formation équivalent ou une très bonne maîtrise de la langue française, ce qui peut poser des problèmes dans le fonctionnement des services », explique le Dr Smolski.
Convaincre les indécis.
Une autre solution, pour les hôpitaux, est le recours à l’intérim médical. « Aujourd’hui, certains services cesseraient de tourner sans ces intérimaires, qui ont un profil varié. Dans certains cas, il s’agit de jeunes médecins qui préfèrent ce mode d’exercice à l’installation. Mais l’intérim est aussi pratiqué par certains médecins en poste à temps partiel ou par des praticiens qui font des missions d’intérim sur leur temps libre. Il faut savoir que ce mode d’exercice est lucratif puisqu’un médecin peut gagner jusqu’à 1 400 euros pour 24 heures. Le revers de la médaille est qu’on se retrouve avec des services totalement déstructurés avec des médecins qui n’ont qu’un investissement très ponctuel et gagnent souvent bien mieux leur vie que les PH en poste », souligne le Dr Smolski.
Pourtant, la spécialité reste attractive aux yeux des internes. « Elle est toujours très choisie par les 6 000 internes qui, chaque année, passent l’examen national classant. Cette année, par exemple, le premier qui a choisi l’anesthésie-réanimation était cinquième et le dernier trois millième », note le Dr Smolski, avant de citer les principaux résultats d’une enquête récemment conduite par le SNPHAR-E auprès des jeunes anesthésistes-réanimateurs avec l’Intersyndicat national des chefs de clinique assistants des hôpitaux de ville de faculté (INSCCA). « Cette enquête montre que 20 à 30 % de ces jeunes sont déterminés très tôt à rejoindre le privé. Environ la même proportion souhaite rester à l’hôpital public. En fait, notre cible est surtout ces 40 % de jeunes médecins qui sont encore indécis. Ce sont eux qu’il nous faut convaincre si on veut les garder à l’hôpital public », indique le Dr Smolski.
Des propositions.
Pour le SNPHAR-E, il faut privilégier des propositions à court, moyen et long terme. « Sur le long terme, il faut vraiment réfléchir à la nécessité de redonner de l’attractivité à l’hôpital public, en étant conscient que ce qui fait fuir bon nombre de médecins, c’est le poids de la bureaucratie et l’absence d’autonomie et de reconnaissance. À plus court terme, il faudrait définir un certain nombre de critères (postes non pourvus, turnover, recours à l’intérim, etc.) pour établir de façon précise, au niveau national, les zones désertiques hospitalières. Ensuite, il faudrait promouvoir une sorte de solidarité avec les établissements en difficulté. On pourrait constituer un vivier de PH, prêts à faire des remplacements dans ces zones en contrepartie d’un certain nombre d’avantages en termes de progression de carrière, de retraite ou de compensation. Ce vivier pourrait être géré par le CNG », explique le Dr Smolski qui, en revanche, rejette fermement toute solution consistant à inciter les PH à délaisser la réanimation pour se consacrer uniquement à une activité de bloc. « La délégation des actes ne nous paraît pas non plus souhaitable car elle pourrait remettre en cause la qualité et la sécurité des soins. Et ce qui intéresse les jeunes, c’est d’abord la polyvalence de l’exercice », estime la présidente de la SNPHAR-E.
D’après un entretien avec le Dr Nicole Smolski, CHU de la Croix-Rousse, Lyon, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHAR-E).
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