SI LES MÉDECINS avaient déjà défilé en 1976, mais aussi fermé leurs cabinets à plusieurs reprises au début de l’année 1980, les manifestations de médecins restaient un événement rare et spectaculaire, encore plus lorsqu’elles réunissaient, comme ce fameux 5 juin, autour de 5 000 médecins libéraux venus de toute la France. Ceux-ci s’étaient mobilisés, à l’appel de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), très largement majoritaire au sein de la profession, pour protester contre… la nouvelle Convention médicale, uniquement signée par la Fédération des médecins de France (FMF) et les caisses. Ce texte supprimait notamment l’ancien droit au « dépassement permanent » en le remplaçant par l’obligation de s’inscrire en secteur I, conventionné, ou II, à honoraires libres, mais au prix du paiement des charges sociales par les praticiens. En outre, les médecins protestaient contre les projets du Premier ministre, Raymond Barre, d’encadrer les dépenses de santé dans ce qu’il appelait déjà une « enveloppe globale ».
Par un soleil radieux, les manifestants étaient partis de la Domus Medica, alors siège de la CSMF, avenue de Latour-Maubourg, pour se rendre au ministère de la Santé, où ils furent accueillis « par un cordon de CRS armés jusqu’aux dents ». Le ministre, Jacques Barrot, ayant refusé de les recevoir, ils tentèrent sans plus de succès, d’être reçus à l’hôtel Matignon puis, dépités, décidèrent de se rendre à l’Elysée, en empruntant le pont Alexandre III, entre l’esplanade des Invalides et le Grand Palais.
Mais la police refusa de les laisser traverser le pont et chargea « avec une grande brutalité », comme s’en souvient encore le Dr André Dogué, alors président du syndicat des médecins de la Marne et du Syndicat national des médecins de groupe : « Un policier a frappé et fait tomber une manifestante, j’ai voulu m’interposer et arrêter son bras, mais il m’a donné des coups de matraque et je suis tombé dans les pommes », se souvient ce généraliste aujourd’hui à la retraite. « Je me suis réveillé plus tard à la Domus Medica où on m’avait ramené », poursuit-il, non sans rappeler que sept autres médecins avaient été blessés dans les affrontements, dont le secrétaire général de la CSMF, qui s’en tira avec une main cassée. En outre, deux journalistes furent blessés pendant la charge, dont l’un gravement.
Des bleus de la manif’.
« Nous n’étions absolument pas préparés à une telle réaction », poursuit le Dr Dogué, qui souligne l’inexpérience totale des médecins de l’époque en matière de manifestations. Le Dr Paul-André Befort, alors secrétaire général de la CSMF du Bas-Rhin et vice président de la FNOF – l’actuelle Union nationale des omnipraticiens français (UNOF) – évoque lui aussi l’ambiance « joyeuse et carabin » dans laquelle la manifestation avait commencé, et le contraste brutal de la rencontre avec la police sur le pont. « On était venus en cars et en trains spéciaux, il y avait un côté festif malgré le caractère sérieux de nos revendications, et personne n’imaginait que cela finirait ainsi. » Lui-même bousculé sur le pont, il se souvient encore du soulagement de l’un de ses confrères ruraux… dont les bouteilles de schnaps, qu’il avait emportées pour lui et ses collègues, ne s’étaient heureusement pas cassées sous les coups des policiers.
Plus sérieusement, poursuit le Dr Befort, cette journée a sonné le glas de l’ère du « médecin notable et respecté », et a totalement changé nos relations avec le pouvoir politique, ainsi qu’ avec les caisses de maladie. L’affaire fit grand bruit dans les médias et, pour de nombreux observateurs, scella le divorce entre le corps médical et le gouvernement Barre. Comme l’écrivit le journal « le Monde », ce jour là, « les médecins dignes sont devenus des médecins indignés ». Deux jours plus tard, le ministre de l’intérieur, Christian Bonnet, présenta ses regrets aux organisations de journalistes pour les coups portés à deux d’entre eux mais, note le Dr Dogué, « il n’y a jamais eu la moindre excuse pour les blessures infligées aux médecins ». La police, pour sa part, justifia son attitude par « l’agressivité » des manifestants sur le pont.
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique