Tous les médecins qui voient certains de leurs patients ou un membre de leur famille avec un regard de potentielle séduction ne sont pas des Drs Gilbert Tordjmann ou André Hazout. Le premier a été condamné en 2003 pour viols et attouchements sexuels sur 40 patientes et le deuxième à 8 ans de prison pour « passage à l’acte » à l’occasion de consultations.
En 2014, le Conseil de l’Ordre a reconnu un manquement dans la transmission des plaintes dans l’affaire Hazout et a souligné que ces agissements avaient entraîné la dissolution du Conseil départemental de l’Ordre de Paris. L’Ordre explique aussi que « la Section Disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins a eu à connaître une quarantaine d’affaires de ce type au cours des dix dernières années ». L'institution ajoute : « Aux États-Unis, sur 1 % des praticiens sanctionnés chaque année, 10 % des sanctions sont motivées par une conduite sexuelle inappropriée. Psychiatres et gynécologues seraient plus exposés que d’autres ».
L’exercice médical a changé
Ces cas sont bien sûr des situations extrêmes qu’il est essentiel de dénoncer. Les auteurs de tels faits doivent être condamnés par leurs pairs et par la justice. Mais pour autant, est-il impossible qu’une relation intime se noue entre un patient et son médecin ?
Cette question est délicate. La position des praticiens et de leurs représentants semble avoir changé au cours des dernières années, de façon parallèle à l’évolution de la médecine. Force est de reconnaître que le médecin peut abuser de sa position de soignant : y a-t-il beaucoup d’autres métiers où l’on peut ordonner à une personne de se déshabiller et où l’on peut procéder à des attouchements de tous types, y compris très intimes, qui pourraient être vécus comme une atteinte à l’intégrité du corps dans toutes autres circonstances ?
D’Hippocrate au Conseil de l’Ordre
Cette question est loin d’être récente. Déjà au XIIe siècle, Moise Maimonide, un médecin de Cordoue s’interrogeait : « Fais que mon esprit reste clair auprès du lit du malade et qu'il ne soit distrait par aucune chose étrangère afin qu'il ait présent tout ce que l'expérience et la science lui ont enseigné. »
La version du serment d’Hippocrate traduite par Émile Littré (1818-1861) précise : « Dans quelque maison que je rentre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves. »
En 2000, l’Ordre de Médecins a publié un rapport, « Pratique médicale et sexualité », qui postule : « Tout échange sexuel entre un soignant et un patient est une transgression grave, identifiée en tant que telle et réprimée pénalement dans certains États. » Mais il ajoute aussi : « Tous les patients ne sont pas vieux et décatis et pour être médecin on n’en est pas moins homme et femme. De là surgissent des tentations sexuelles auxquelles les uns et les autres sont exposés, en transgressant gravement un interdit absolu, s’ils y cédaient. Il existe peut-être des transgressions heureuses non signalées ce qui ne les autorise pas pour autant. »
Mais ce même rapport ouvre déjà une porte, « il convient d’éviter même une relation intime avec un ancien malade sur lequel le médecin dispose d’indications anciennes d’ordre professionnel (cependant une authentique relation amoureuse peut émerger entre un soignant et un soigné : le soigné doit alors être pris en charge par un autre soignant) ».
Il serait donc possible de vivre une histoire d’amour heureuse, si le patient est référé à un autre médecin et si le praticien ne le prend plus en charge.
Le potentiel de séduction
En 2017, l’exercice de la médecine a changé, tout comme la place du médecin dans la société. Le médecin de famille qui suit un patient toute sa vie, voire une famille sur plusieurs générations, n’est plus la norme.
Est-ce qu’un urgentiste qui a examiné une fois un patient est soumis aux mêmes tabous qu’un psychiatre qui voit toutes les semaines une personne dont il connaît les faiblesses ? Faut-il légiférer et mettre dans la même catégorie ces deux types d’exercice ?
Pour les plus jeunes générations, la question du potentiel de séduction de la patientèle se pose désormais de manière ouverte. Pour les hommes tout autant que les femmes médecins.
En Grande-Bretagne, en 2011, la moitié des médecins estimait que les directives des sociétés savantes interdisant les relations entre médecins et anciens patients devaient être revues. C’est ce qu’a fait le General Medical Council en 2013. Des relations seraient tolérables à plusieurs conditions : qu’un délai suffisant se soit écoulé entre la prise en charge du patient et l’installation d’un nouveau lien ; que le patient soit référé à un autre médecin, que la relation ne soit pas fondée sur la vulnérabilité du patient, que le médecin estime avec son « jugement professionnel » que la relation est acceptable.
La Grande-Bretagne est très en avance sur les États-Unis. L’American Medical Association Council on Ethical and Judical Affairs, estimait en effet en 2016 que « les relations intimes pouvaient influer sur le jugement du médecin sur la santé du patient et pouvait se révéler délétères ». Mais là aussi une petite porte s’ouvrait : « Un médecin doit avoir mis fin à sa relation de soignant avant d’envisager un flirt, une histoire d’amour ou une relation sexuelle avec un patient. »
Cette publication a soulevé un débat sur le « délai de prescription » avant d’envisager un rapport plus intime avec un patient : pour 20 % des médecins américains, 6 à 12 mois de carence de relation de soins étaient nécessaires… sauf pour les psychiatres et les gynécologues qui eux devaient s’abstenir à vie de transformer leur relation.
En France l’Ordre pourrait revoir sa position dans les prochaines années lorsque le lien relève de la vie personnelle du médecin.
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