« NOUS RECEVONS bien des notifications d’effets indésirables qui surviennent avec les contraceptifs oraux. Mais la sous-notification est importante, bien que difficile à quantifier ». Le constat du Pr Marie-Christine Perault-Pochat, présidente de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique, qui exerce dans le service de pharmacologie du CHU de Poitiers, rejoint celui de l’ANSM. Dans sa base nationale, mise en place en 1985, l’agence ne recense que 567 déclarations d’effets indésirables, dont 46 % avec des pilules de 2e génération, 43 % avec des 3e génération et 11 % avec la dernière génération.
Autre pièce du dossier, une étude réalisée de 1998 à 2012 dans un CHU, révélée par le Figaro et depuis transmise à l’ANSM, fait état de 47 accidents cardio-vasculaires graves, dont deux décès, potentiellement liés à la prise d’une pilule. Seulement 3 accidents (et aucun mort) ont été déclarés aux autorités, soit 5 %. L’ANSM confirme « une importante sous notification ».
« Cela pose un réel problème : comment la pharmacovigilance peut-elle fonctionner s’il n’y a pas un renvoi des alertes, surtout quand les effets sont rares ? », s’interroge le député (socialiste) Gérard Bapt*.
Pas de culture de la déclaration.
Question provocatrice : l’influence des laboratoires serait-elle de près ou de loin à l’origine de la réticence des médecins à notifier des effets indésirables graves ou légers ? Non, répondent unanimement les principaux concernés. Des manifestes (notamment celui de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale) circulent sur Internet en soutien aux 4 gynécologues accusés par le quotidien « Le Monde », dans son édition du vendredi 11 janvier, d’être à la solde des laboratoires. « Nous sommes indépendants, nous avons notre conscience professionnelle et notre probité », insiste le Pr Bernard Hédon, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). « Les laboratoires n’interviennent pas directement dans la formation. Nos journées annuelles qui rassemblent 2 500 gynécologues, sont sous notre responsabilité scientifique. Certes, les laboratoires peuvent avoir un espace d’exposition, mais nous ne recevons pas d’argent directement pour la formation », poursuit le gynécologue.
Des raisons pratiques, qui s’enracinent dans des habitudes, éclairent mieux la sous-déclaration. Les gynécologues font remarquer qu’ils ne prennent pas en charge l’accident grave. « Quand une jeune fille fait une embolie pulmonaire ou un accident vasculaire cérébral, nous ne la voyons pas. Elle se rend à l’hôpital, aux urgences ou dans les cliniques », explique le Dr Élisabeth Paganelli, secrétaire générale du syndicat national des gynécologues obstétriciens français (SYNGOF). « Personnellement, je n’ai jamais eu à déclarer. J’ai toujours pensé que les neurologues le faisaient », témoigne-t-elle, reconnaissant qu’il n’y a pas de « culture » de déclaration en France.
« Il n’y a pas beaucoup de médecin traitant parmi les gynécologues. Nous n’apprenons les événements graves qu’a posteriori », confirme le Pr Hédon.
Encore de la paperasse.
Les spécialistes concernés par les risques thromboemboliques disent de leur côté n’avoir pas « le réflexe administratif », selon les mots du Pr Claude Le Feuvre, président de la de la Fédération française de cardiologie. « Nous passons aux malades suivants, nous sommes dans l’urgence des soins. » Et d’insister sur la rareté des infarctus liés uniquement à la pilule. « Nous n’en avons pas eu de récents à la Pitié-Salpêtrière. Nous observons toujours des associations avec le tabac ; c’est la deuxième question que nous posons après la consommation de drogues. »
Conscient du problème (bien avant l’emballement médiatique, précise le Pr Hédon), le CNGOF devrait proposer, d’ici la fin du mois de janvier, une série de propositions pour améliorer les signalements. À commencer par rendre obligatoire la déclaration d’un accident thrombolytique ou cardiaque par celui qui le prend en charge.
Les médecins se plaignent également de la complexité du processus déclaratif. « Il nous faudrait une liste des accidents à signaler sinon, c’est sans fin », déclare le Dr Paganelli, et d’énumérer : maux de ventre, céphalées, acné... « Les dossiers sont très lourds, c’est une usine à gaz. On ne peut pas signaler tous les effets indésirables », renchérit la généraliste Marie-Hélène Certain.
« La pilule reste un médicament, avec des indications, des contre-indications, des associations qu’il ne faut pas faire », poursuit Le Dr Certain, pointant là une autre raison de la sous-déclaration des effets indésirables : la banalisation de la pilule. Parce que les effets indésirables sont connus et souvent inscrits sur les notices, les médecins ne pensent pas à les notifier.
Patients et industriels.
Les médecins ne sont pas les seuls à pouvoir interpeller les tutelles. Les patients, inspirés par la loi Xavier Bertrand sur le médicament, commencent à remonter des effets indésirables. Selon Marie-Christine Perault-Pochat, qui se fonde sur les observations de son centre régional de pharmacovigilance, 5 % des déclarations parvenues l’an dernier provenaient des patients. Contre aucune l’an passé.
Les industriels ont aussi vu leur rôle de lanceur d’alerte renforcé. Pour l’heure, parce que « le décret sur la pharmacovigilance est récent », explique Philippe Lamoureux, directeur général, le LEEM n’a pas de données à ce sujet. Il souligne néanmoins que la surveillance des médicaments a d’autres formes. « On peut également améliorer la remontée d’informations, par exemple au travers des études de cohortes. En matière de pharmacovigilance, L’important est moins le volume des déclarations que la capacité de détection des signaux faibles ».
*Retrouver l’intégralité de l’entretien sur le Quotidiendumédecin.fr
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