C’est devenu le fléau numéro un des cabinets médicaux, si l’on en croit certains médecins. Les lapins, ces rendez-vous médicaux auxquels les patients ne se présentent pas sans prévenir, se seraient multipliés ces dernières années.
Désorganisation du cabinet, perte de chance pour les patients… les conséquences sont majeures sur l’organisation des soins, estime l’URPS Médecins libéraux Île-de-France qui pointe du doigt le comportement des usagers, accusés de multiplier les rendez-vous sur les plateformes en ligne.
Qui sont ces patients indélicats ? Pourquoi ne viennent-ils pas à leur consultation ? Une thèse en médecine générale (« Rendez-vous manqués en médecine générale par les patients précaires : quels sont les motifs ? »), soutenue par le Dr Francis Gatier en début d’année, donne un son de cloche différent sur ce phénomène. Le point de départ de cette analyse : une grande majorité des rendez-vous manqués le seraient par des patients en tiers-payant social, bénéficiaires de la couverture maladie universelle.
« Les patients en situation de précarité sont susceptibles de manquer plus de rendez-vous que la population générale avec leur médecin généraliste », écrit le Dr Gatier qui s’est appuyé sur une étude menée en 2013 par l’URPS médecins libéraux Franche-Comté.
Des patients trop souvent « stigmatisés » par les médecins ?
Ce constat n'étonnera pas de nombreux médecins qui sont confrontés à ce phénomène dans leur cabinet. Mais l'auteur les invite à reconsidérer leur perception de ces patients, trop souvent « stigmatisés », « étiquetés coupables d’un mésusage du système de santé », écrit-il. « Nos patients précaires absents font partie des personnes ayant les déterminants sociaux de santé les plus bas, les classant plus à risque de morbi-mortalité du fait des inégalités sociales de santé (ISS) », poursuit le Dr Gatier.
Conséquence, ces rendez-vous manqués devraient être pris « comme signaux d’alerte et, au minimum, être explorés à la consultation suivante », estime le généraliste qui suggère d’intégrer la situation sociale des patients précaires dans les dossiers médicaux. « Mieux appréhender les mécanismes amenant à ne pas honorer ces rendez-vous pourrait être une solution pour améliorer leur prise en charge, leur état de santé et contribuer à diminuer les ISS », explique-t-il.
Près de 5 % de rendez-vous non honorés
C’est précisément l’objectif de ses travaux de thèse. Le Dr Gatier a analysé les rendez-vous manqués chez 10 généralistes d’une MSP (maison de santé pluriprofessionnelle) de Strasbourg, « située dans un quartier considéré comme précaire ». Entre le 11 et le 23 octobre 2021, 53 rendez-vous n’ont pas été honorés, soit 4,9 % de l’activité de l’établissement. Trente-neuf patients, dont 25 étaient bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS, ex-CMU), ont été contactés par téléphone pour un entretien destiné à comprendre les raisons de leurs absences.
Sans surprise, la raison principale du rendez-vous manqué par le patient est l’oubli, non pas par désinvolture, mais parce qu’il est souvent « le dernier maillon d’une chaîne d’événement, les causes d’absences étant multifactorielles ». Les difficultés de la vie courante, principalement la précarité du travail (horaires imposés, heures supplémentaires au dernier moment), sont une cause d’absence fréquente, relève l’auteur. « En demande constante d’amélioration économique, les patients ne peuvent qu’accepter sans négociation avec l’employeur, ce qui les amène à rater les rendez-vous prévus », explique-t-il.
Autre explication invoquée : la charge mentale. « Les patients sont souvent isolés, avec peu de moyens et peu d’aide extérieure. Ils doivent gérer de multiples rendez-vous nécessaires à leur qualité de vie », écrit le Dr Gatier.
Une double peine
Le moral et les troubles de l’humeur, la dépression, un sentiment de lassitude, jouent également un rôle important dans les absences, sans qu’il puisse être établi un lien de causalité avec la précarité des patients.
Dans tous les cas, les causes relevées dans l’enquête montrent des difficultés à gérer les contraintes organisationnelles avec « une vie s’adaptant au jour le jour ». « L’anticipation et la planification des événements à venir sont alors altérées par la situation sociale, pouvant engendrer des absences aux rendez-vous médicaux », analyse le Dr Gatier. En revanche, aucun patient n’évoque une absence liée aux conditions d’accueil de la MSP ou des difficultés relationnelles avec leur médecin.
Si l’auteur de cette enquête reconnaît que les médecins ont peu de moyens d’agir, il invite ses confrères à ne pas stigmatiser ces patients mais à s’interroger sur les motifs d’une absence, qu’elle peut être parfois perçue comme « un signal d’alarme pouvant cacher une aggravation de la situation sociale et de la santé du patient ». Les sanctionner « serait vécu comme une double peine et une forme d’abandon », par des médecins pourtant considérés souvent comme protecteurs.
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