Attaque, riposte. Un patient l'avait attaquée devant les juridictions ordinales pour refus de soins avant de retirer sa plainte. Le Dr Claire Zysman, généraliste à Paris, ne s'est pas laissé faire. Estimant abusive cette action du patient, elle a contre-attaqué devant le tribunal d'instance du 15e arrondissement pour préjudice moral et instrumentalisation de la justice. Elle a obtenu sa condamnation à 2 000 euros de dommages et intérêts et à 1 500 euros de frais de procédure.
L'histoire débute le 6 mai 2015 à 18 heures lorsque se présente sans rendez-vous à son cabinet une maman d'origine japonaise. Elle parle un français hésitant, et est accompagnée d'un jeune garçon de 5 ans, présentant une éruption de boutons récente sur le visage. La secrétaire médicale, expérimentée, constate que l'enfant n'a pas de fièvre, pas d'œdème, pas de gêne respiratoire, et qu'il se déplace sur ses jambes. La salle d'attente est bondée, elle propose donc à la jeune mère un rendez-vous dès le lendemain matin, ou, à défaut, d'appeler SOS Médecins ou de se rendre aux urgences hospitalières. Celle-ci refuse et s'en va.
Douche froide
Alerté, le père du jeune garçon appelle dans la foulée le Dr Zysman, lui reprochant de ne pas avoir prodigué de soins à son enfant. Après avoir argumenté et s'être fait copieusement insulter, la généraliste raccroche.
Début juin, c'est la douche froide. Claire Zysman reçoit un courrier de l'Ordre de Paris, l'informant que le père a porté plainte contre elle, contre un autre praticien de son cabinet et contre un troisième généraliste chez qui la mère s'était rendue. Celui-ci, jugeant également le cas sans gravité, avait proposé à la jeune femme un rendez-vous à 20 heures le jour même, auquel elle n'avait pas jugé utile de se rendre.
Une conciliation entre les parties est prévue pour le 25 juin à l'Ordre de Paris, mais le père ne s'y rend pas non plus. Les textes sont formels : en l'absence de conciliation, la procédure disciplinaire doit prendre le relais.
L'avocat des trois généralistes visés par la plainte rédige un mémoire en défense. Il fait valoir que la démarche du père est abusive, qu'il n'apporte aucune preuve de l'urgence alléguée pour son fils, et demande pour chaque médecin mis en cause 1 000 euros de dommages et intérêts, et 2 500 euros au titre des frais de justice.
Mauvaise foi
Quand le mémoire est transmis au plaignant, celui-ci décide de se désister de son action. Son avocat indique dans un courrier que la démarche de son client n'était « absolument pas procédurale », qu'il avait juste voulu marquer le coup, et qu'il était persuadé qu'à la suite de son absence à la conciliation l'histoire allait en rester là. « Contre toute attente, continue l'avocat, mon client apprend que sa plainte va être transmise à la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins. »
Une argumentation apparemment de mauvaise foi. En effet, dans un courrier précédemment adressé à l'Ordre le 13 mai 2015, et que « le Quotidien » a pu consulter, le père avait fait référence au code de la santé publique, et détaillé la procédure, rappelant qu'en cas d'échec ou de non-tenue de la conciliation, l'Ordre disposait d'un délai de trois mois pour transmettre sa plainte à la chambre disciplinaire. « Dire que contre toute attente, la plainte a été transmise à cette même chambre, c'est se moquer du monde », juge la généraliste.
« On peut se battre »
Claire Zysman change son fusil d'épaule. Alors que ses deux confrères visés eux aussi par la plainte décident d'en rester là, elle choisit d'attaquer le père de l'enfant devant le tribunal d'instance. « J'avais demandé son avis à l'Ordre, se rappelle-t-elle. Ils m'ont déconseillé d'aller au civil, ni de rien tenter. Laissez tomber, m'ont-ils dit. »
L'audience se tient en juin 2016 et les juges mettent leur jugement en délibéré. Fin août, Claire Zysman apprend la nouvelle : les juges la suivent dans sa demande et condamnent le père. Cette nouvelle met du baume au cœur de la généraliste. Arrêtée pour burn-out peu après le début de l'affaire, sa santé n'a cessé de se détériorer au fil des événements. « Ce jugement me rend justice et prouve que le père était bien de mauvaise foi, confie-t-elle au "Quotidien". On n'est pas obligé de tout accepter d'un patient, on peut se battre. »
Arrangeante, la généraliste a tout de même accepté la requête du père qui sollicitait un étalement sur dix mois du paiement des amendes...
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