Parce que « l'État a failli » à leurs yeux, quelque 45 médecins libéraux et hospitaliers s'apprêtent à porter plainte devant la Cour de justice de la République (CJR) contre l'ancienne et l'actuel ministre de la Santé, Agnès Buzyn et Olivier Véran, le Premier ministre Édouard Philippe et le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon.
Distribution des masques, des tests, du matériel, des médicaments indispensables, mais aussi « ingérence » et « injonctions » de l'État... : cette action en justice reprend plusieurs arguments critiques développés dans une tribune publiée fin mars, intitulée « Le gouvernement fait-il vraiment la guerre au coronavirus ? », signée par plus d'une centaine de médecins.
Qualifiée « d'exceptionnelle » par ses auteurs, la plainte sera déposée d'ici à la fin de semaine pour « abus de droit » contre les ministres concernés mais aussi « abstention volontaire de combattre un sinistre, homicide involontaire » et « mise en danger délibérée de la vie d'autrui » (contre le DGS).
« Les médecins, qu'ils soient hospitaliers, libéraux ou salariés, ont été isolés face à cette épidémie, sans masques (...). La déontologie médicale et notre indépendance professionnelle ont été attaquées », a résumé ce mardi le Dr François Paraire, ancien médecin légiste à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et signataire de la plainte, lors d'une conférence de presse à deux pas du ministère de la Santé.
Défendre la déontologie
« Cette démarche a été longuement mûrie, elle n'entre pas dans les pratiques habituelles des médecins mais elle est symbolique car elle porte sur tous les domaines dont on a beaucoup parlé pendant la crise : la pénurie de masques, due au non-renouvellement du stock tous les ans, le manque de tests et de réactifs, l'admission des patients lourds en réanimation, alors que l'on ferme des milliers de lits depuis des années, et les thérapeutiques médicamenteuses, avec l'hydroxychloroquine mais aussi la réquisition de certains produits anesthésiants », énumère le Dr Jean-Louis Chabernaud, pédiatre réanimateur à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart (AP-HP).
Médecin psychiatre de secteur à Asnières-sur-Seine, le Dr Mathieu Bellahsen ajoute que cette plainte est à « articuler » avec les pratiques cliniques des médecins, confrontés au manque de moyens humains et matériels au quotidien. « Nous sommes responsables devant nos patients, mais pas d'une pénurie orchestrée par l'État. Or, on nous demande encore et toujours plus de nous adapter à cette pénurie ! »
Soins consciencieux et conformes
Les auteurs de la plainte estiment, sur tous ces sujets, avoir été entravés dans leur liberté de prescription mais aussi dans leur obligation de délivrer des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science, deux fondements du code de déontologie médicale. En attendant le traitement de cette plainte par la CJR, les praticiens ne veulent pas « rester silencieux ». Ils entendent prendre d'autres initiatives pour défendre « la déontologie médicale et les droits des patients ».
Si leur plainte est jugée recevable par la commission des requêtes, ils seront auditionnés par une commission d'instruction, qui décidera d'un éventuel renvoi devant la Cour de justice de la République, seule instance habilitée à juger des actes commis par des membres du gouvernement dans leurs fonctions.
À la mi-mai déjà, le procureur général près la Cour de cassation François Molins avait précisé que 63 plaintes avaient été déposées auprès de la CJR, dont plusieurs par des médecins.
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