Quand les Japonais décompensent…

Le spleen de Paris

Publié le 11/06/2015
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Certains subissent la violence du décalage entre leur fantasme et la réalité

Certains subissent la violence du décalage entre leur fantasme et la réalité
Crédit photo : AFP

Brutaux, impudiques et vulgaires. Voilà comment les Japonais perçoivent les Parisiens, aussitôt un pied posé à Paname. Brillamment décrite dans le roman de Ériko Nakamura, l’expérience subjective des Japonais en visite à Paris est le plus souvent décevante. Évoluant parfois vers un choc culturel, voire une décompensation psychiatrique, requérant un accompagnement.

Honte et culpabilité

Décrit et baptisé « Syndrome de Paris » dans les années 1990, par le psychiatre japonais Hiroaki Ota, ce syndrome rassemble une large palette de symptômes ayant le même contexte de survenue : un séjour à Paris. Le Dr Régis Airault, auteur de l’ouvrage « Fous de l’Inde » et ancien médecin de l’ambassade française en Inde, différencie dans ce cadre le choc culturel et le voyage pathogène, excluant le voyage pathologique, considéré comme la conséquence d’une symptomatologie préexistante. Pas de limites franches entre choc culturel et voyage pathogène, mais plutôt une continuité qui serait sensible à la durée de séjour. « La plupart des Japonais restent à Paris sur des temps très courts », constate le Dr Airault. Il s’agit donc plus souvent d’un choc culturel, c’est-à-dire d’une réaction psychologique momentanée, que d’un voyage pathogène qui s’installe plutôt sur la durée. On peut constater un continuum entre les affects dépressifs du premier et la décompensation plus franche du second, à type de mélancolie ou de bouffée délirante. Déception et culpabilité, ou sentiment d’hostilité et idées de persécution, se retrouvent de manière plus ou moins associée. Une symptomatologie qui vient refléter la violence du décalage entre le fantasme et la réalité.

Des « no-go zones »

Imaginez… mus par un désir de beauté, de paillettes, voire d’éveil artistique, les Nippons se retrouvent nez à nez avec l’antithèse de leur propre société : incivilités, saleté, familiarité, agressivité, etc. Cela les amène, du fait de leur éducation, à se remettre en cause, voire à se sentir persécuté. Une serveuse qui ne dit pas bonjour, un médecin qui demande de « se déshabiller »... les exemples suscitant le malaise et la honte chez les Japonais sont nombreux.

Désormais prévenus de ces désillusions, les guides touristiques japonais tentent de les éviter en évitant les quartiers peu entretenus ou socialement défavorisés et en privilégiant les lieux habitués aux touristes japonais. Que faire cependant, lorsque le simple choc culturel se transforme en véritable souffrance ? Si une simple consultation avec un psy parlant le japonais, voire avec un interprète, peut apaiser les symptômes, l’hospitalisation et le rapatriement sont parfois inévitables, en cas de bouffée délirante, notamment. L’ambassade du Japon propose à ce titre une liste de médecins et de psychologues (au nombre de trois) japanophones. Et le CPOA (service des urgences de l’hôpital Sainte-Anne) reste historiquement le plus habilité à recevoir ces indications.

Une expérience initiatique

Difficile de connaître l’évolution des symptômes, pour ce trouble multiforme. L’expérience clinique de Régis Airault, du Syndrome Indien, l’amène à supposer une régression des symptômes dans la majeure partie des situations. Soit lors du retour au pays, ou après un temps d’adaptation sur le sol de Paris. À l’instar du « sentiment océanique » expérimenté par les touristes français en Inde, décrit par le spécialiste, Paris suscite-t-elle une émotion potentiellement « initiatique » ? Peut-être, répond le Dr Régis Airault, chez ceux qui sont en quête d’une renommée artistique. Mias pour un Japonais, se confronter au regard des Français, si dissonant de sa propre vision, est une épreuve. Certains la surmontent et l’envisagent comme une expérience qui peut fare grandir mais pour d’autres, les conséquences peuvent être plus ou moins handicapantes. « On a tous une faille qui peut se révéler à l’occasion d’une perte de repères », rappelle Régis Airault. Dans ces cas, « ce syndrome a le mérite d’éviter le diagnostic de psychose », explique le psychiatre.

« Nââânde » de Eriko Nakamura ou les tribulations d’une japonaise à Paris éd. Pocket
Dr Ada Picard

Source : Le Quotidien du Médecin: 9419