La question de la santé et des soins

Le vieillissement des personnes handicapées mentales

Publié le 08/09/2010
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Fragiles

Les antibiotiques ont complètement transformé le suivi médical des personnes handicapées mentales. Sous beaucoup d’aspects, elles étaient relativement fragiles et épuisables ; plus particulièrement les sujets porteurs d’une trisomie 21 présentant un très important déficit de résistance aux infections, probablement pour une grande part liée à leur particularité leucocytaire, moindre lobulation des globules, ainsi que d’autres troubles types, séquelles d’otite séreuse, hyperlaxité ligamentaire fragilisant les articulations (genoux et colonne vertébrale), imparfait équilibre hormonal notamment thyroïdien à corriger mais, tout compte fait, assez peu de particularités spécifiques importantes indiscutables.

Aspects psychosociaux

C’est surtout aux aspects psychosociaux que tout l’entourage doit être attentif : en particulier à la fatigabilité, à la baisse du dynamisme et de l’élan vital, à la tendance au repli avec soliloquie, à l’existence d’une note dépressive particulièrement en situation d’incompréhension et de frustration (notamment affective), à la disparition, parfois en quelques semaines, de l’hyper-jovialité habituelle si sympathique, surtout chez ceux qui ont été maintenus trop artificiellement en milieu non spécialisé, et n’ont que tardivement pris conscience de leur handicap.

Il importe :

- d’adapter au fur et à mesure de l’existence tout ce qui permet de maintenir un tonus évolutif comme réaliser un départ progressif du Centre d’aide par le travail CAT, maintenir un emploi du temps aussi varié que possible, éviter les longues périodes de passivité, etc.,

- d’avoir toujours à l’esprit que la majorité des troubles sont évitables (moments dépressifs en particulier) et que les prévenir (base du projet pédagogique ?) est bien moins difficile que de les soigner plus tardivement.

- de ne pas se laisser abuser par les théories lésionnistes ; le plus souvent « tassement pseudo-détérioration intellectuelle » plus que symptomatologie précoce type Alzheimer.

- d’être vigilant aux conséquences de la perte de liens (changement de personnel, départ d’un membre de la famille…) qui engage la « personne avec trisomie », dans un processus de deuil et donc naturellement dans un épisode dépressif. Tout changement non expliqué est mal supporté.

Démarche clinique

Pour le médecin généraliste, presque toujours souhaité notamment par rapport au psychiatre, il est important de mettre en confiance et surtout de savoir interpréter des symptômes souvent imparfaitement exprimés en raison des imperfections du langage. Il est également essentiel d’avoir conscience que ces sujets handicapés comprennent infiniment mieux qu’ils ne s’expriment, et souffrent particulièrement que l’on parle d’eux, devant eux, comme s’ils étaient encore des tout-petits. De savoir susciter (et peut-être se situer comme) un médiateur verbalisateur neutre. D’avoir bien conscience que la signification travail est le plus souvent pour eux hypervalorisante, la répétitivité des tâches par exemple se révélant surtout sécurisante. Il est aussi capital de réfléchir, en particulier avant la prescription d’arrêts de travail, souvent très mal vécus, avant de proposer des mises en préretraite inconsidérées (parfois sous la pression de certains CAT-ESAT devenus relativement sélectifs pour les peu efficients pour lesquels ils ont pourtant été créés). Enfin, il est indispensable de maintenir une liaison étroite avec les équipes d’encadrement et si possible avec un psychiatre.

La prévention avant tout

Les conduites à tenir devraient être avant tout préventives : contrôler le poids et l’alimentation (hydratation suffisante et absence d’excès d’aliments sucrés) ; surveiller étroitement la dentition pour éviter ces bouches édentées liées à des gingivites, paradontoses et surtout à une insuffisance de soins bien sûr particulièrement difficiles à réaliser correctement (souvent besoin d’anesthésie générale) ; contrôler (tâche délicate) la vision et l’audition ; ne pas oublier l’examen des seins. Attacher une attention toute particulière à la réalisation du dossier médical dossier médical.

L’entretien du corps et tous les abords (ré) éducatifs semblent avoir été, ces vingt dernières années, mis au second plan par rapport au maintien d’une scolarité ordinaire à tout prix. La psychomotricité n’est pas assez valorisée, les activités sportives étant pourtant très prisées par ces sujets (un exemple du rugby féminin !) et la banale marche à pied très bénéfique.

La préparation des interventions chirurgicales, en particulier orthopédiques, est très importante ; notamment parce que la douleur et les difficultés de compréhension rendent les rééducations souvent illusoires si un contact méticuleux n’a pas été pris auparavant (déjà 2 ou 3 séances) avec le kinésithérapeute de suivi, décomposant bien les futurs mouvements indispensables à récupérer ; en raison de ces lacunes quasi spécifiques à ces sujets handicapés, plus de la moitié des interventions se révèlent avoir été plus nuisibles qu’utiles.

D’une façon générale, toute hospitalisation pose de délicats problèmes. Heureusement, de plus en plus de services disposent d’une personne formée à l’accueil des personnes handicapées, ou sont prêtes à faciliter la présence d’un accompagnateur, parent ou personne du foyer.

La fin de vie

Osons insister aussi sur les problèmes d’acharnement thérapeutique et d’accompagnement en fin de vie. C’est au moins aussi important dans le milieu familial que dans les structures spécialisées (qui semblent avoir eu le courage de faire le choix de les accompagner presque tous jusqu’à la fin !). S’il nous paraît évident qu’un accompagnement ou une présence spirituelle peuvent aider, il importe de respecter la philosophie de vie de chacun comme les particularités de chaque situation.

Pour conclure, relativement à l’attente sociale, il y a, selon nous, une différence importante d’appréciation et d’abord par rapport aux autres personnes en situation de handicap, quant à l’intégration optimale, l’accessibilité à la vie sociale ordinaire, et l’exercice de sa liberté. Chez les personnes dont le handicap est principalement somatique, l’important est d’être le moins limité possible dans son choix de vie et son autonomie. Chez les sujets dont le handicap est d’origine neuromotrice, l’objectif est en plus d’éviter la douleur et la régression. Mais pour une personne présentant un handicap sévère d’origine mentale, l’essentiel, de loin, est de se sentir reconnue et sécurisée (même si cela suppose une dépendance, bien sûr souvent partiellement discutable, mais presque toujours, souhaitée, notamment en foyer).

On ne prépare probablement pas suffisamment la personne handicapée à faire avec son handicap, surtout lorsque celui-ci devient de plus en plus prégnant. On a trop tendance à penser à sa place. Dans toute la mesure du possible, il faut bien tenir compte du passé existentiel, notamment des habitudes de vie (même si elles paraissent désuètes, dépassées et parfois exaspérantes pour les jeunes de l’encadrement). Une véritable préparation psychologique de l’entourage est aussi nécessaire (parents et famille proche en étroite liaison avec la personne handicapée elle-même bien entendu) à l’évolution des repères (notamment familles structures médico-sociales). Ayons présent à l’esprit que leur espérance de vie n’est plus que de 15 % inférieure à la population ordinaire et plutôt supérieure à celle des personnes handicapées physiques et que, comme le soulignent tous ceux qui les côtoient de près, les qualités humaines de ces sujets, serviabilité, sociabilité, particulière attentivité aux autres, rare jalousie et forte capacité à éprouver un bonheur simple sont d’autant plus apparentes et présentes qu’elles se sentent simplement reconnues.

Bibliographie

1. Le mongolisme Principaux problèmes médicaux, psychologiques et sociaux. G Doin, Paris 1 958.

2. Le Vieillissement des Trisomiques21 (Mongoliens). Entretiens de Bichat (psychiatrie) 1988, pp.183-186.

3. Quelques aspects médicaux du Vieillissement de la Personne Handicapée mentale. Réadaptation, n°(spécial)431, juin 1996, pp.11-15

4. Quatorze ans, âge charnière pour les Préadolescents Handicapés mentaux (not. Trisomiques 21). Réadaptation, n°432, juil./août 1996, pp 29-31.

5. Les Psychiatres et le Réajustement des Centres d’Aide par le Travail (CAT). Ann. Méd. Psycho. 2005;163,2, pp.174-181.

 Dr ROBERT LECUYER Neuropédopsychiatre et Psychopédagogue retraité Membre titulaire de la Société Médico-Psychologique et de la Société Française Choisy le Roi de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent

Source : Le Quotidien du Médecin: 8810