Fils de Louis, multimédaillé de la Première Guerre mondiale et médecin traitant du maréchal Pétain pendant trente ans, Bernard Ménétrel était donc né en 1906 à Neuilly. Des auteurs en manque d’inspiration en ont fait, sans preuve, « le fils caché » du maréchal mais il est vrai que ce dernier en était devenu le père spirituel bien avant 1940, témoin à son mariage et parrain d’un de ses 4 enfants.
Pour le reste, Bernard Ménétrel était un fils à papa, fidèle à la tradition médicale familiale l’amenant au clinicat après un concours laborieux à l’externat, plus honorable à l’internat. Installé au cabinet de son père au 5 de l’avenue Montaigne, à Paris, il aurait pu y mener une carrière classique et lucrative de consultant s’il n’avait visité le maréchal… la veille de monter au front en 1940. Difficile de résister à la sollicitation du déjà vieux (84 ans) militaire qui l’avait toujours encouragé – et « pistonné » pour son service sous le képi rouge au Maroc – lui déclarant de but en blanc qu’il avait besoin de sa présence constante auprès de lui !
De ce jour et jusqu’à la fuite vers Sigmaringen en septembre 1944, le médecin ne fut jamais éloigné de son mentor plus de trois ou quatre jours d’affilée. Cette carrière de conseiller de l’ombre avec ses succès, ses aléas et ses revers a été parfaitement décrite par l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon [1].
L'« inventeur » de la Francisque
On peut en retenir une probable influence au moment de désigner René Leriche pour prendre la tête du Conseil supérieur de l’Ordre créé en octobre et un rôle officiel au service de l’image du maréchal : c’est lui qui avait « inventé » la médaille de la Francisque et présidé par la suite à quelques attributions, dont celle de François Mitterrand croisé dans le service des prisonniers, auxquels Ménétrel faisait parvenir, depuis une officine spécialement créée, « les colis du maréchal ».
Son rôle politique est plus douteux, et même sérieusement controversé : il semble avéré qu’il était hostile à la politique collaborationniste de Laval – d’où l’hostilité de ce dernier – mais jusqu’à quel point était-il antisémite ? La question divise toujours les historiens mais son appartenance antérieure aux Camelots du Roy relève bien des fake news et son nom est également absent des listes de convives des célèbres « banquets médicaux » de l'Action française.
Il eut, en revanche, de nombreuses correspondances avec des médecins, y compris juifs, comptant parmi ses compagnons d’études ou d’internat. En ressort un portrait relationnel un peu brouillon et, surtout, une jalousie quasi maladive de son rôle de « dépositaire » de l’agenda de son patron. Il fut, et demeura au gré des époques, le meilleur « sésame » de l’accès au bureau du maréchal et le grand orchestrateur de ses déplacements.
Il eut souvent, dans ce rôle, maille à partir avec ses interlocuteurs ou intermédiaires allemands, dont l’ambassadeur de Brinon, candidat à la succession du maréchal en exil, ce qui lui valut d’être arrêté par la Gestapo avant son entrée en Allemagne. Livré aux Alliés, il dut évidemment comparaître en Cour de justice à la Libération. Sans autre préjudice qu’une condamnation à l’indignité nationale. Il rencontra finalement la mort dans un accident de la route en Provence, en 1947, dans des conditions assez mal élucidées.
Oxygène pulsé et thérapeutique carbonée
Son rôle de médecin personnel du maréchal n’est en revanche discuté par personne, soignant ou plutôt entretenant « son » malade à base d’oxygène pulsé et d’une thérapeutique carbonée censée maintenir en forme l’octogénaire qu’il accompagnait à table et dans ses promenades pré- et post-prandiales.
Philippe Pétain connut deux autres médecins de moindre influence, les Drs Schillemans, médecin-lieutenant prisonnier dans un camp voisin de Sigmaringen et Moissonié, commis d’office à la prison de l’Ile d’Yeu ; les deux témoins du naufrage intellectuel ont écrit des mémoires sans grand intérêt historique, la démence de leur patient ne faisant plus guère de doute. On retiendra surtout celle de l’épisode de l’exil, le refus cinglant du vieillard à qui on proposait l’assistance de Céline, effectivement présent (et disponible) à Sigmaringen.
Évidemment moins familiers du personnage, deux autres médecins valent d’être cités, respectivement Secrétaires d’État successifs à la Santé :
– le Dr Serge Huard, premier secrétaire d’État (et d’ailleurs sous-secrétaire d’État dans la première version, rattaché à Jean Ybarnégaray, titulaire du portefeuille de la Famille et de la Jeunesse, lui-même rattaché au ministère de l’Intérieur) est sans doute le plus singulier, encore énigmatique. Ancien rugbyman (treiziste au Racing Club de France), étudiant en médecine, il avait devancé l’appel en 1914 et fait tout le conflit dans une unité combattante. Promu chirurgien des hôpitaux de Paris en 1933, il avait été le second du Pr Schwartz, président de la Ligue… contre la dichotomie et ne manquait jamais de rappeler son attachement aux principes déontologiques. C’était sans doute un idéaliste et c’est vraisemblablement à son initiative que furent nommés au Conseil supérieur de l’Ordre deux autres idéalistes, les Drs Marc Nédélec et Armand Vincent, rapidement qualifiés de « communistes » par leurs détracteurs collaborationnistes.
Le premier a d’ailleurs expliqué, au décès du Dr Huard en 1944 que ce dernier aurait sans doute gagné Londres s’il ne s’était pas su condamné par un cancer. Assertion validée par le Dr Hector Descomps, authentique résistant quant à lui puisque membre du Comité médical de la Résistance créé dans la foulée du CNR. On doit à Serge Huard, durant les deux années de son « ministère » (et bien qu’aucun texte ne porte sa signature), l’organisation des DRASS ou la création de l’Institut national d’hygiène (devenu Inserm à la Libération), l’organisation de toute la pharmacie – du laboratoire à l’officine – diverses mesures de lutte contre les fléaux sociaux (alcoolisme, vaccination anti-tétanique…), la législation sur l’avortement (abolie par Simone Veil) ou encore la loi hospitalière de 1941, largement en vigueur encore aujourd’hui (avec des établissements antérieurement réservés aux pauvres) ;
– le Dr Raymond Grasset, obstétricien, successeur de Serge Huard en avril 1942 et devant cette nomination à son ami (et voisin) Pierre Laval, le maire (et propriétaire des eaux) de Chateldon. Autant Huard était un peu poète, égaré en politique, autant Raymond Grasset était un jusqu’au-boutiste. Se réclamant du radical-socialisme, leader départemental d’un mouvement d’anciens combattants, il était devenu, dans la foulée, le patron de la LVF (Légion des volontaires français) du Puy-de-Dôme. Ancien président départemental du syndicat confédéré, il ne méconnaissait évidemment pas le dossier dont il héritait sans pouvoir se prévaloir du même bilan, laissant notamment se dégrader la situation alimentaire dans les hôpitaux psychiatriques.
Il avait fallu l’intervention de Bonnafous, son collègue du Ravitaillement, pour y pourvoir. Resté à son poste jusqu’à l’ultime moment, il connut ensuite la prison et le procès en collaboration. Dont il sortit indemne pour avoir prétendu s’être servi de la valise diplomatique pour acheminer en France l’insuline faisant défaut aux diabétiques français. Ce qu’il affirme en tout cas dans des mémoires [2] où il se vantait de quelques autres « faits d’armes » invérifiables.
Appel à témoignages
Des histoires comme celle qu’il évoque aujourd’hui pour « Le Quotidien », Jean-Pol Durand en a des collections à raconter. Voilà dix ans que cet ancien rédacteur en chef du « Quotidien du Médecin » mène une recherche méthodique sur les médecins acteurs, parfois martyrs, de la Seconde Guerre mondiale. Son projet est de leur rendre hommage, en dressant un mémorial à ces confrères connus et inconnus.
Vous avez connaissance d'un médecin qui mériterait de figurer dans ce mémorial ? Vous pouvez contacter Jean-Pol Durand à l'adresse redaction@quotimed.com.
[1] Bénédicte Vergez-Chaignon. « Le docteur Ménétrel, éminence grise et confident du maréchal Pétain » (Perrin, 2001).
[2] « Au service de la médecine : chronique de la Santé publique durant les saisons amères (1942-1944) », Raymond Grasset.
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