Emploi des personnes handicapées

S’entendre avec les sourds

Publié le 26/11/2009
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Crédit photo : C. LEBEDINSKY/Challenges-REA

LA SEMAINE de l’emploi des personnes handicapées vient de s’achever. La mairie de Paris a profité de l’occasion pour projeter à l’Hôtel de ville un film, au titre bien trouvé, « S’entendre avec les sourds »*, qui a été diffusé sur la chaîne Public Sénat en octobre.

Le documentaire de 56 minutes montre le parcours de six personnes sourdes de naissance dans le monde du travail. On y voit Lætitia, podologue, 37 ans, qui raconte comment, quelques jours avant la signature d’un achat de clientèle à un cabinet parisien, elle a essuyé un refus au dernier moment au motif que les associés kinés ne voulaient pas partager leur cabinet avec quelqu’un incapable de répondre au téléphone. « J’ai pris une vraie claque », dit-elle. Elle a finalement osé créer sa propre clientèle.

On y voit aussi Matthieu, menuisier de 29 ans pour qui il a fallu prévoir des aménagements dans l’atelier car ne pas entendre une machine qui fonctionne, c’est source de dangers. Le jeune Grégoire force le respect de ses collègues cuistots, qui l’expriment avec tendresse. Et de sa hiérarchie. « Certes, je n’étais pas là au moment de son adaptation, raconte le directeur du restaurant, qui reconnaît que, sans la politique de la DRH de son établissement, il n’aurait pas franchi tout seul le pas d’embaucher un sourd. Mais une fois cette période passée, je constate qu’il est extrêmement performant, car dans sa bulle et donc complètement concentré sur son travail. Je crois qu’il se laisse moins envahir par le stress que nous autres. »

À égalité d’effort.

« Tout le monde peut apporter quelque chose à une entreprise et c’est ce que montre ce film, je crois », commente le réalisateur, Olivier Le Mab. La surdité est un handicap complexe car invisible. Or travailler, c’est communiquer. Le premier travail des sourds, c’est de surmonter leur handicap en s’adaptant au monde des entendants ». « La personne sourde ne capte pas l’information tout de suite, décrypte Lætitia , elle a toujours un décalage avec les entendants, alors, généralement, on la prend d’abord pour quelqu’un de bête, avant de se rendre compte éventuellement qu’elle porte un appareil ».

Bien préparer l’arrivée d’une personne sourde dans une équipe professionnelle, c’est le travail de la Mission handicap d’une entreprise. « Si l’intégration est mal organisée, il peut y avoir l’effet inverse, avec une personne sourde dans son coin, totalement isolée », confie Caroline Millous, responsable de la Mission handicap chez Air France. Nous devons faire en sorte que les personnes sourdes travaillent à égalité d’effort mais aussi à égalité de possibilité de promotion. »

Dès la maternelle.

L’AGEFIPH (l’association qui gère le fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) a mené une enquête qui révèle que 93 % des entreprises (de plus de 25 salariés) ayant respecté l’effectif de 6 % de personnes handicapées se sont déclarées satisfaites de ces embauches, assure Isabelle Darolle, déléguée régionale adjointe de l’association. En 2015, les entreprises devraient avoir à leur disposition les nouveaux outils, qui permettent notamment aux personnes sourdes de téléphoner seules (grâce à des systèmes de webcam et d’un service en ligne de traducteurs en langue des signes), actuellement en expérimentation dans certains établissements.

« Pour nous, ce n’est pas que l’histoire d’une semaine, insiste Christian Sautter, adjoint au maire de Paris chargé de l’emploi. La Ville de Paris fournit un effort important et même si nous n’avons pas encore atteint les 6 %**, nous nous en rapprochons ». De fait, 5,4 % des agents sont handicapés.

« Nous savons tous que ce n’est pas simple, mais il y a des outils, a ajouté Véronique Dubarry, adjointe chargée des personnes en situation de handicap. Il faut faire preuve de persuasion, de pédagogie, d’explication. Il faut combattre les préjugés et je crois que cela commence dès l’inclusion en école maternelle ».

Sur 110 000 établissements concernés par l’obligation légale, la moitié « seulement » ne paye pas, positive Patrick Gohet, qui, au moment où il était interrogé pour le reportage, parlait au titre de délégué interministériel aux personnes handicapées.

En France, 20 % des sourds sont à la recherche d’un emploi. Et le pôle citoyen sourd de Paris, qui reçoit en langage des signes les sourds demandeurs d’emploi, est malheureusement le seul sur le territoire. « Il est très difficile de convaincre les employeurs, ne serait-ce que d’accepter une personne sourde en entretien d’embauche, déplore un agent du pôle. La présence d’un traducteur lors de l’entretien leur fait craindre d’en nécessiter un en permanence sur le lieu de travail, alors que ce n’est pas du tout le cas. »

Il reste évident qu’il est plus facile pour les grandes entreprises de mener une vraie politique d’embauche des personnes handicapées. Les PME et TPE n’ont pas encore forcément une bonne connaissance des aides financières que peut leur proposer l’AGEFIPH.

* Pour obtenir le DVD du film, contacter le réalisateur producteur du film, Olivier le Mab : olmproduction@hotmail.fr.

** Pourcentage obligatoire de personnes handicapées dans une entreprise fixé par la loi.

AUDREY BUSSIÈRE

Source : lequotidiendumedecin.fr