Certains esprits chafouins se gaussent en pensant que l'Ordre National n’a pas volé la solide dégelée infligée par la Cour des Comptes. D’autres moins taquins s'étonnent d’une charge partiale. Les plus conciliants se disent que les 4,8 millions d'indemnités et frais pour 56 conseillers ne paraîtraient pas si abusifs s'ils étaient utilisés à penser avec l'ensemble des médecins, servant à réfléchir et agir à bon escient avec eux.
Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de l’avenir d’un Ordre entaché de suspicions. La Cour des Comptes dénonce un fonctionnement autocratique de vieux mâles, dépassés, inefficaces, sauf pour soutenir les copains et bidouiller les comptes. L’étrillage du vieux cheval ordinal est à prendre avec des pincettes puisqu’aucune mise en examen ne succède aux accusations de malversations.
Tout labeur mérite salaire mais nos confrères digèrent mal que le cumul des indemnités ordinales entre elles, s’ajoutant à celles d’autres organismes. Seuls les ordinaux libéraux subissent éventuellement une perte de revenus; pas les retraités et les salariés.
Reste que la pertinence et l’efficacité des services rendus par l’Ordre font question. Sauf sur le numérique, l’innovation et l’anticipation ne paraissent être le fort de l’Ordre.
Sur les services rendus, la confusion entre « système de santé » et « système de soins » interpelle. Si le système de santé – défini par l’ensemble des organisations, personnes et moyens - est un mastodonte tentaculaire n’entrant pas dans les missions ordinales, le «système de soins », lui, relève bien du champ de compétences de l’Ordre.
Parfum de misogynie
Face à la crise monumentale que nous vivons, l'amélioration de ce système reste à démontrer. Accepter de diluer les médecins dans les professionnels de santé a surtout troublé la donne, laminé notre identité, sapé notre crédibilité. Ce sont les praticiennes qui porteront demain ce poids et subiront les contrecoups, comme toute profession qui se féminise. La moitié des médecins sont des femmes, elles seront plus de 80 % dans moins de 10 ans.
Plus gênants que ces histoires de gros sous, des actes manqués fleurent un léger parfum de misogynie. S’asseoir sur la parité malgré les binômes imposés par la loi, voter en se tenant la barbichette dans une tranquille cooptation qui évince nos consœurs fait que le bureau de l'Ordre National est composé de 17 membres avec seulement 2 femmes.
Nul doute que la féminisation aura un impact important sur l’organisation des soins, au cœur des préoccupations de l’Association Française des Femmes Médecins. Elles sont plus agressées que leurs homologues masculins et, étant multitâches, plus à risque d’épuisement. Le National cherche-t-il des solutions d’amélioration de leurs conditions de travail ? Quand l’hôpital sera intégralement féminin comment seront conciliées nos 50 heures de travail avec les grossesses et maternité ?
Coté internes, la grogne monte : suspectés d’être corrompus, faute de discernement, par de méchants industriels, ils se voient privés de formations, de croissants et de petits fours par un écriteau sur les stands des congrès ! Loin d’être un détail risible, cette discrimination est un moyen subtil pour attiser les conflits intergénérationnels, casser les liens et rompre la solidarité hachée menu par la promesse d’une retraite de 1 700 €. Que dit le National de cette dévaluation qui signe la dévalorisation de notre métier ?
Des positions contestables sur le plan éthique
Plus grave encore, sur les questions existentielles qui engagent le patrimoine humain, tout donne à penser que le National s’est plié aux promesses électorales et aux engouements d’une société non informée pour ne pas dire désinformée. Son président justifie la position en faveur de la « PMA pour toutes » au titre des « désirs de la société ». Il passe sous silence les désirs des médecins. Aucun sondage ni enquête n’ont été faits. Il évacue la gestation pour autrui, décrétant que « la GPA n’est pas à l’ordre du jour ». Quant à l'utérus artificiel, il n’est pas à l’Ordre de demain !
Pourtant ces techniques procréatives sont dans les tuyaux, prônées tant par le président du CCNE que par les rapporteurs nommés aux commissions spéciales de l’Assemblée et du Sénat. C’est comprendre qu’elles seront banalisées. Le National écrit avoir « mené de nombreuses auditions»…. L’Association Française des Femmes Médecins, concernée à double titre, n’a pas été conviée.
L’AFFM demande que le National prenne à bras-le-corps l’éthique médicale appliquée, différente de la bioéthique des chercheurs et autres sans lien avec la pratique médicale au quotidien. L’artificiel concurrence le naturel ; la réalité dépasse la fiction et l’éthique. Les médecins doivent rester maîtres de leur exercice en pleine métamorphose, en être les acteurs, non des exécuteurs ou des marionnettes des avancées supersoniques de la néomédecine.
Pour la nouvelle année, souhaitons qu’un Ordre novateur initiera des questionnements transdisciplinaires sur les questions fondamentales du patrimoine humain face au danger d’utilisations déviantes du CRISP Cas, démontrées par de récentes expériences en Chine et ailleurs. Mais aussi sur le principe de précaution face aux risques de mutations génétiques transformant le destin, la nature et le sens de la vie humaine. Questionnement à mener aussi sur la procréation artificielle, qui, conjuguée aux manipulations génétiques et au bricolage embryonnaire, accouchera du « bébé augmenté» et de l’eugénisme.
Le National ne peut cautionner l’instrumentalisation des praticiens ni une science no limite dérivant vers une médecine sans visées thérapeutiques. Il a su anticiper sur le numérique en santé. Il lui reste à anticiper sur les impacts de la génétique et de la robotique en polissant le principe de précaution comme une pierre précieuse.
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