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Dossier

Médecine rurale

Où va l’hôpital local ?

Publié le 22/11/2013

Un an après le « pacte territoire et santé » de Marisol Touraine qui promettait de conforter les hôpitaux locaux et un mois après un rapport de la Cour des comptes plutôt favorable, médecins et directeurs de ces petites structures se retrouvent ce 22 novembre. Occasion de dessiner des voies d’avenir pour l’hôpital du généraliste et d’obtenir, peut-être, des réponses des pouvoirs publics.

Souvent perdus au fin fond de nos campagnes, les hôpitaux locaux sont un peu les oubliés du paysage sanitaire français d’aujourd’hui. Sur le papier d’ailleurs, ils n’existent même plus depuis la loi Bachelot ! Et leur nombre s’est fortement réduit ces dernières années. Organisateurs d’un colloque qui se tient ce 22 novembre, les médecins de l’AGHL (Association des généralistes des hôpitaux locaux) et les directeurs de l’ANCHL (Association nationale des centres hospitaliers locaux) alertent cette semaine sur les trop nombreuses fermetures de lits.

« Avec la suppression de la catégorie juridique “Hôpital local” de la loi Bachelot, nous sommes devenus invisibles, nous avons disparu des préoccupations des pouvoirs publics. Mais nous sommes restés la cible des Agences régionales de santé (ARS). Certaines ferment des lits et suppriment des établissements », regrette Dominique Colas, président de l’ANCHL. Pour ce directeur du centre hospitalier de Lamballe (Côtes-d’Armor), la suppression du statut d’hôpital local est une façon pour les politiques « de masquer les pertes de lits ».

Selon l’étude d’Adysta conseil que l’ANCHL a commandé sur la situation des hôpitaux locaux (voir infographie), pas moins de 5 600 lits ont ainsi été supprimés entre 2004 et 2011. Alors qu’on recensait 362 hôpitaux locaux en 2004, l’enquête révèle qu’il n’y en avait plus que 318 en 2011, soit une baisse de 11%. Deux établissements ont disparu et 42 ont été transformés en Ehpad. Les régions Rhônes-Alpes (-10), Alsace (-5), Pays de la Loire (-5), Centre, Bourgogne, PACA (-4) ont enregistré les plus fortes diminutions. Pour les hôpitaux locaux la menace est aussi financière. Car si leur activité peut varier d’une région à l’autre, leur cœur de métier reste majoritairement les personnes âgées. Avec souvent de longs séjours d’hospitalisation. Un domaine peu rentable dans le cadre d’une T2A pour eux toujours reportée et qui pourrait, de fait, mettre en danger ces établissements. Pas toujours cependant. Le président de l’Association nationale des médecins généralistes d'hôpital local (AGHL), Pascal Gendry, explique que la tarification à l’activité dans les hôpitaux locaux peut aussi avoir des avantages. « Il y a des activités pratiquées dans certains établissements qui sont pénalisées de ne pas être à la T2A. Comme, par exemple, ceux qui font beaucoup de soins palliatifs, une activité bien rémunérée dans ce cadre », explique-t-il. Pour le président de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux (ANCHL), Dominique Colas, la « souplesse » est donc de rigueur. « La mise en place de la T2A n’est pas à prévoir dans tous les établissements. On sait qu’elle a été très néfaste pour les petits ». Le directeur du CH de Lamballe s’inquiète aussi du piège dans lequel certains hôpitaux pourraient se laisser prendre. Selon lui, cette tarification à l’activité, à l’œuvre dans les autres hôpitaux, a déjà permis aux ARS de reprocher à certains de ne pas être rentables et de les fermer. A fortiori, pour les hôpitaux locaux, prudence...

Une chance pour la désertification médicale ?

C’est pourtant dans ce contexte incertain que Marisol Touraine a semblé, il y a un an, faire des hôpitaux locaux un vecteur pour lutter contre la désertification médicale. Pourtant, même la Cour des comptes pointe le fait que, sur le terrain, certaines ARS feraient de ces petites structures des proies faciles pour économiser des coûts et fermer des lits. Publié en septembre, le rapport voit néanmoins dans ces hôpitaux « un double intérêt ». « D’une part, il permet une offre de proximité capable, notamment, d’éviter une partie des passages aux

urgences des hôpitaux généraux. D’autre part, il facilite le maintien d’une présence libérale dans des zones de sous-densité médicale ».

Les magistrats de la rue Cambon en veulent pour preuve le fait que, quoique très inégalement répartis sur le territoire, 63% de ces établissements sont implantés dans des zones rurales, dont un quart en zones de montagne. Selon l’étude d’Adysta Conseil, la présence de structures coordonnées comme les hôpitaux locaux permet aussi de maintenir l’offre médicale sur le territoire. D’autant que les dynamiques d’offre de soins se conjuguent : 56% des hôpitaux locaux sont désormais proches d’une maison médicale pluridisciplinaire ou en passe de l’être et au sein de ceux-ci, un sur deux est moteur dans le projet.

Dans le même temps, on relève un nombre croissant de médecins salariés dans ce type de structures (138 équivalents temps plein en 2004 contre 244 en 2011). La Cour des comptes craint que cela n’éloigne pour de bons les libéraux. Mais d’aucuns avancent, au contraire, que ce salariat pourrait également attirer la nouvelle génération, friande de cette forme d’exercice. « De plus en plus d’établissements salarient des médecins pour certaines missions, cela peut être attractif pour les jeunes, mais il y a quand même une réflexion à avoir sur leur carrière », nuance le Dr Gendry. Reste que, s’agissant de la rémunération des libéraux, il y a des évolutions à prévoir. La Cour des comptes souligne le fait que, payés à l’acte, les généralistes intervenant dans les hôpitaux locaux ne sont pas rémunérés pour les tâches non soignantes pourtant très chronophages. Et c’est aussi l’une des revendications de l’AGHL qui suggère plus de forfaits.

Autre atout pour l’hôpital local : la réponse à la dépendance. Là encore, l’enjeu n’a pas échappé à la Cour des Comptes. La prise en charge des personnes âgées, notamment celles du 4e âge, concentre en effet l’essentiel de leur activité, dont l’entrée se fait par l’orientation du médecin traitant. L’âge moyen des personnes hospitalisées y est supérieur à 77 ans. Et la place des 81-90 ans est même prépondérante : ils représentent à eux seuls 44,6% des séjours, indique le rapport.

« Il y a à peu près 250 établissements inégalement répartis sur le territoire qui fonctionnent encore beaucoup avec des médecins généralistes libéraux, entre 2 000 et 2 500 », précise de son côté le Dr Gendry.

C’est bien sur ce lien « historique » si particulier entre le généraliste et l’hôpital local que le rapport de la Cour des comptes suggère de s’appuyer pour réorganiser l’offre de soins sur le territoire. Pour le président de l’AGHL, les « hôpitaux locaux ont, de par leur lien privilégié avec les acteurs de ville, une expérience du lien ville/hôpital et donc de la notion de parcours de soins », si chère à Marisol Touraine et à la Stratégie nationale de santé qu’elle souhaite mettre en place. Le thème du parcours du patient sera d’ailleurs au centre de cette journée du 22 novembre. Car non seulement ces établissements ont toute leur place dans l’offre de soins mais ils seraient même un exemple à suivre dans la manière de fonctionner entre l’hôpital et la ville. « Les généralistes qui interviennent dans les hôpitaux locaux ne font pas de scission entre leur activité de ville et leur activité d’hôpital. On est dans la continuité de l’activité comme on voudrait qu’il n’y ait pas non plus de rupture dans le parcours du patient », défend le Dr Gendry.

Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics semblent, lentement mais sûrement, prendre conscience des atouts de l’hôpital local. Reste au ministère de la Santé à élaborer une vraie doctrine vis-à-vis de l’hôpital local... Du côté des acteurs, on attend toujours un signe fort de la part des pouvoirs publics : un « moratoire sur la fermeture de ces établissements », un plan de développement propre à leur spécificité, un vrai statut...

Ces derniers mois, les représentants du ministère ont lancé un vaste état des lieux de ces mini établissements. Mais pour quoi faire ? Réponse, peut-être, à Bagnolet ce vendredi...