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Dossier

Congrès Heart Failure

Pas de répit pour l’insuffisance cardiaque

Publié le 26/05/2017
Pas de répit pour l’insuffisance cardiaque

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GJLP/SPL/PHANIE

Huit mois après la présentation des dernières recommandations européennes sur l’insuffisance cardiaque, le congrès Heart Failure a évalué la façon dont elles avaient été intégrées dans la pratique. Globalement, la prise en charge est satisfaisante mais souffre toujours d’une certaine inertie au moment d’intensifier le traitement, en particulier chez les patients les plus sévères.

«On a réussi à réduire la mortalité immédiate dans les 30 jours suivant l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (IC), mais le nombre de réhospitalisations s’envole alors qu’elles s’associent à un déclin de la fonction cardiaque et de la qualité de vie. Pour briser ce cercle infernal des hospitalisations-réhospitalisations, les recommandations de 2016 prônent une approche plus dynamique, avec des étapes plus rapprochées et la possibilité d’introduire certaines options thérapeutiques de manière concomitante et successive ». à l’occasion du congrès mondial de l’insuffisance cardiaque (congrès Heart Failure, Paris, 29 avril-2 mai), le Dr Patrick Khanoyan (Marseille) et plusieurs autres spécialistes ont plaidé pour une approche plus musclée de l’IC au long cours, en accord avec les dernières guidelines européennes. Un objectif qui nécessite une surveillance plus rapprochée dans laquelle le médecin traitant a un rôle essentiel à jouer.

En dehors du traitement symptomatique par les diurétiques, la prise en charge de l’IC repose toujours sur le trépied IEC, β-bloquants et antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (ARM) avec de forts niveaux de recommandations. La progression thérapeutique est plus énergique, puisque, par rapport aux recommandations de 2012, on propose en première intention l’association IEC/β-bloquants dans l’IC symptomatique plutôt que la succession IEC puis ß-bloquants. Mais tous les registres montrent que moins de 50 % des patients sont à la posologie cible des IEC et des ß-bloquants, alors que les bons résultats obtenus dans les essais cliniques sur la mortalité et les hospitalisations ne sont valables que chez les patients compliants et traités aux doses optimales. « Qu’il s’agisse des IEC ou des ß-bloquants, leur posologie doit être augmentée par paliers toutes les deux semaines jusqu’à la dose maximale tolérée, y compris lorsque le patient va bien », insiste le Pr Richard Isnard (La Pitié-Salpêtrière).

Attendre mais pas trop

Le passage à la phase suivante, lorsque le patient reste symptomatique, est toujours trop lent. Un registre mené par le CNCF, « Oblic », montre que si les insuffisants cardiaques les moins graves sont traités de façon relativement conforme aux recommandations, ce n’est pas le cas pour les patients les plus sévères pour lesquels on tarde encore trop à passer aux ARM et à l’ivabradine. Aussi, certains préfèrent introduire assez vite les ARM pour éviter que cette étape thérapeutique ne traîne en longueur. Néanmoins, pour le Dr Frédéric Mouquet (Lille), « il semble préférable d’attendre quelques mois comme le préconisent les recommandations et de plutôt insister sur l’optimisation des doses d’IEC et surtout de ß-bloquants pour leur laisser le temps d’améliorer la FEVG. Il faut savoir attendre mais pas trop longtemps… »
La dynamique doit se poursuivre à l’étape suivante qui propose trois alternatives en fonction du contexte clinique, ou plutôt trois options puisqu’elles ne s’excluent pas. L’association sacubitril/valsartan est proposée en remplacement de l’IEC si la FEVG reste ≤ 35 %, l’ivabradine si le rythme est sinusal et la FC > 70/75 bpm, la resynchronisation avec un fort niveau de preuve lorsque les QRS sont très larges (> 150 msec), moins net entre 130 et 150.

La décision de passer à une autre étape dépend de la classe de la NYHA mais aussi des facteurs de gravité comme des hospitalisations dans l’année précédente ou des taux de BNP élevés. Parallèlement à chaque étape, l’évaluation régulière des signes congestifs et d’éventuels troubles du rythme cardiaque pose la question
de la gestion des diurétiques et de l’indication éventuelle d’un défibrillateur. « Tant que le patient reste symptomatique, il faut se demander comment optimiser le traitement », conclut le cardiologue.

Revascularisation chez l’IC : peut mieux faire !

Des études récentes ont amené aussi à revoir les stratégies dans la prise en charge de certaines comorbidités majeures. Dans le DT2, ce sont les résultats d’Empareg-
Outcome et le rôle protecteur de l’empaglifozine sur le système CV et rénal qui ont amené les recos à l’envisager pour prévenir ou retarder l’apparition d’une IC (classe IIa, niveau B). La question serait : faut-il la prescrire chez tous les insuffisants cardiaques diabétiques, et dans quel objectif, prévenir l’IC ou la traiter ?

L’étude Sprint a remis sur le tapis l’intérêt d’un contrôle intensif de la PA chez les patients à haut risque CV, puisqu’il diminuait de 33 % la survenue de l’IC. « Mais, remarque le Pr Marc Pfeffer (Boston), il s’agissait d’un critère secondaire, la comparaison avec les autres études est difficile, et l’arrêt prématuré de l’étude a pu surestimer les bénéfices. Et, quand on voit le pourcentage d’hypertendus qui n’atteignent pas l’objectif de 140 mmHg, peut-on raisonnablement proposer une cible de 120 mmHg ? »

Concernant la maladie coronarienne, il semble qu’on ne soit pas assez actif chez l’insuffisant cardiaque. Les résultats à 10 ans de l’essai Stitch montrent que le pontage a réduit de 21 % la mortalité CV et de 28 % la mortalité toute cause et les hospitalisations pour cause CV par rapport au traitement médical seul chez l’insuffisant cardiaque avec ischémie coronarienne. Mais, en réalité, peu de patients bénéficient d’un bilan coronarien pendant ou dans les 3 mois après une hospitalisation pour IC (respectivement 17 % et 27 % !). « Les arguments, insiste le Pr Mark Petrie (écosse), sont en faveur de la revascularisation par pontage, ce qu’entérinent les recos, mais en pratique la crainte des complications chirurgicales fait que c’est  souvent l’angioplastie qui est choisie, alors qu’on manque d’essais angioplastie vs traitement médical ou pontage chez les insuffisants cardiaques, le plus souvent exclus des essais. » On
attend les résultats de l’étude Revived comparant l’angioplastie au traitement médical chez les patients non opérables.

Carences martiales et ic, le cercle vicieux

La carence en fer concerne un insuffisant cardiaque sur deux, avec des causes multiples, où interviennent difficultés nutritionnelles, saignements et inflammation chronique. Maintenant reconnue comme une comorbidité majeure, elle compromet l’adaptation cardiaque au stress, altère la capacité à l’effort ainsi que la réponse à la resynchronisation. La progression de la carence martiale est corrélée avec l’aggravation de la fonction cardiaque. Les patients carencés sont plus souvent symptomatiques, relèvent d’une classe plus élevée de la NYHA, ont une qualité de vie et un pronostic plus mauvais, indépendamment de la FEVG. Par rapport à celles de 2012, les recommandations de 2016 ont une attitude plus « martiale » en préconisant l’évaluation du statut en fer dans toutes les insuffisances cardiaques récemment diagnostiquées, et la supplémentation des carences doit être envisagée même si elle n’est pas symptomatique. L’évaluation doit être faite par le dosage de la ferritine et de la saturation de la transferrine (et non plus de la capacité totale de fixation). « La carence en fer n’est pas suffisamment prise en compte dans l’IC, regrette le Pr Ewa Jankowska (Pologne), alors qu’il est prouvé maintenant que la carboxymaltose ferrique en IV améliore la symptomatologie, la tolérance à l’effort et la qualité de vie et pourrait réduire les hospitalisations. » La supplémentation per os n’a pas montré les mêmes bénéfices.
 

Le cerveau malade du coeur

On estime que 25 à 75 % des insuffisants cardiaques auraient une atteinte des fonctions cognitives qui augmentent la morbi-mortalité. Les facteurs de risque CV et la diminution du flux sanguin cérébral sont les principales causes, mais sont impliqués aussi des facteurs hormonaux, nutritionnels, inflammatoires, etc.

Pour agir plus précocement, il est préconisé de réaliser chez les insuffisants cardiaques un MMSE, à compléter en cas de doute d’une IRM, d’une consultation avec un neurologue, etc.

Les traitements sont indispensables pour améliorer le flux cérébral mais ils peuvent avoir des effets indésirables sur le cerveau via l’hypotension artérielle, et pour certains des interactions avec le métabolisme de la protéine βA. Les IEC pourraient en théorie favoriser l’accumulation des protéines βA car ils franchissent la barrière hémato-encéphalique mais ils semblent en fait améliorer les fonctions cognitives de même que les ARAII. Les ARM pourraient avoir un impact sur les fonctions cognitives et seraient associés à une augmentation des troubles dépressifs via l’augmentation des niveaux de cortisol chez les individus prédisposés. L’inhibition de la neprilysine pourrait favoriser l’accumulation des protéines βA, mais seule une part infime de ses métabolites (0.28 %) passe la barrière hémato-encéphalique, et l’étude Paradigm n’a pas montré d’altération de la fonction cognitive. Les β-bloquants n’augmenteraient pas le risque de dépression dans l’IC.

Actuellement, il n’existe aucune recommandation sur le traitement de l’IC en cas d’altération cognitive, et on manque de données, cette situation étant exclue de la plupart des grands essais cliniques.

Dr Maia Bovard-Gouffrant

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