Hicham Belkassem Temsamani, expert auprès de la BERD*

E-santé au Maroc, une opportunité historique

Publié le 03/03/2016

Le royaume chérifien est confronté aux mêmes défis que doivent relever les systèmes de santé et les modèles sociétaux des pays développés, confrontés aux transitions démographique et épidémiologique.

Paradoxalement, le retard dans l’adoption des technologies de l’information et de la communication appliquées à la santé [TIC Santé] au Maroc constitue un atout formidable. En effet, le déploiement digital est un saut quantique qui permet de rattraper un retard structurel tout en faisant l’économie des lourds investissements d’innovation et d’expérimentation dépensés par les pays précurseurs.

Une mutation et des perspectives

Comme la plupart des pays d’Afrique, le Maroc est en train d’achever sa mutation démographique et doit faire face dans le même temps à une transition épidémiologique. Depuis la fin des années quatre-vingt, un grand nombre d’indicateurs établissent clairement ces deux mutations. Les mortalités juvénile et maternelle ont significativement chuté ainsi que les taux de mortalité et de natalité. L’espérance de vie est passée de 47 ans en 1962 à plus de 75 ans en moyenne aujourd’hui.

Le Royaume doit relever le double défi des soins (population jeune) et de la santé (population âgée), en renforçant notamment la prévention et la lutte contre les maladies transmissibles tout en faisant face à l’émergence de nouvelles pathologies lourdes comme le cancer ou chroniques comme le diabète ou l’hypertension.

L’accès aux soins reste difficile dans un contexte économique contraignant

La crise économique mondiale que nous connaissons depuis 2008 crée de nouvelles formes de dépendance, d’isolement et de difficultés d’accès aux soins. Celles-ci exacerbent les manques structurels du système de santé marocain que sont la pénurie de ressources humaines, le manque d’équipements, les problèmes d’accessibilité géographique, la faible capacité financière de la majorité des patients, la qualité des services.

Le déséquilibre entre la demande et l’offre de soins est croissant

Parmi les causes de ce déséquilibre, nous pouvons citer les facteurs suivants :

- la persistance de maladies infectieuses comme la tuberculose : 30 000 nouveaux cas par an,

- le vieillissement de la population : en 2020 plus de 11 % de la population sera âgée de plus de 60 ans,

- le développement de pathologies lourdes ou chroniques liées à des facteurs multiples : cancer, plus de 50 000 cas par an ; AVC, plus de 100 000 cas par an ; diabète, 150 millions de patients dans le monde en 2020 ; hypertension artérielle, cardiopathies, épilepsie, syndrome des apnées du sommeil (SAS), 5 % de la population est concernée.

Émergent également de nouvelles menaces sanitaires ou climatiques dans un monde globalisé et ouvert comme des pandémies (H1N1, Ebola, MERS Coronavirus, Zika), canicules et inondations.

Une transformation du système de santé nécessaire et inéluctable

Face au vieillissement des populations et au développement des maladies chroniques, les modes d’accompagnement et de prise en charge des patients sont appelés à se transformer pour permettre une meilleure qualité de vie et un meilleur parcours de santé dans un souci constant d’éthique, de sécurité et de réalisme économique.

Cette transformation des modes de prise en charge n’est possible que grâce à l’adoption éclairée et raisonnée des technologies d’information et de communication qui doit permettre le développement de nouveaux usages adaptés, tant pour la population (prévention), les patients (pathologies), leurs aidants que pour les professionnels de santé, sans oublier les acteurs industriels.

Ces nouvelles technologies appliquées à la santé modifient en profondeur la pratique médicale et médico-sociale et permettent l’accès à l'information et la prévention des populations, la consultation et le suivi à distance des patients, la formation et l’échange d’expertise à distance pour les professionnels.

Trajectoire nationale pour construire un nouveau système de santé

Si tous s’accordent sur le constat, le débat sur le choix des solutions et leur déploiement reste ouvert. De multiples expérimentations et projets dans le monde, et notamment en France et parfois dans la douleur, ont montré les bénéfices apportés par l’usage des technologies d’information et de communication appliquées à la santé.

S’agissant du savoir-faire français en matière d’e-santé, la proximité des personnels de santé marocains et français est un autre atout stratégique pour le Maroc afin de bénéficier des avancées obtenues en France sans reproduire les erreurs inévitablement commises. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place un travail de coproduction pour renforcer les coopérations bilatérales et identifier de nouvelles voies possibles de transformation tant des moyens de production de soins que d’organisation du travail et des compétences.

Cependant, il appartient aujourd’hui aux autorités de tutelle et aux acteurs de santé du Maroc d’évaluer ces réalisations, de les mettre en perspective par rapport aux récentes réformes de santé du pays comme par exemple la régionalisation pour bâtir un véritable plan d’e-santé public.

Le Maroc a aujourd’hui une opportunité historique pour bâtir un projet d’e-santé contribuant à l’amélioration de l’offre de soins pour l’ensemble de la population, ouvrant de véritables opportunités sanitaires, économiques et industrielles, en érigeant le Royaume au statut de partenaire privilégié pour l'Europe et devenir une porte incontournable dans le domaine de la santé sur tout le continent africain.

* Consultant télémédecine & e-santé, expert habilité près la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

Série sous la direction de Jean-Pierre Blum.


Source : lequotidiendumedecin.fr