L’expertise des pédiatres menacée au sein des comités de protection des personnes

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Publié le 04/07/2025
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Les pédiatres alertent sur l’importance de leur participation au sein des comités de protection des personnes pour évaluer les protocoles de recherche pédiatrique. Depuis 2021, ce qui était un prérequis n’est plus obligatoire et les autorités restent silencieuses.

Entre 2006 et 2021, le rapport d’expertise du pédiatre et sa présence lors de la délibération du protocole pédiatrique étaient obligatoires

Entre 2006 et 2021, le rapport d’expertise du pédiatre et sa présence lors de la délibération du protocole pédiatrique étaient obligatoires
Crédit photo : BURGER/PHANIE

L’enfant n’étant pas un adulte miniature, le regard d’un pédiatre est indispensable pour évaluer les protocoles de recherche pédiatriques soumis aux comités de protection des personnes (CPP). Tel est le message que porte le Cercle d’éthique en recherche pédiatrique (Cerped), soutenu par la Société française de pédiatrie (SFP), auprès des autorités. Mais il reste pour l’instant lettre morte, malgré les alertes que lancent les spécialistes depuis 2021.

C’est en effet en 2021 que tout a changé. « Entre 2006 et 2021, la participation d’un pédiatre aux délibérations des CPP pour examiner les protocoles impliquant des mineurs était obligatoire », rappelle au Quotidien la Dr Chantal Aubert-Fourmy, secrétaire générale du Cerped et membre du CPP Île-de-France VIII. Ce prérequis était inscrit dans le Code de la santé publique, à l’article R1123-14 (1) depuis la loi de 2006. Loi qui venait ainsi renforcer la protection des mineurs par rapport aux dispositions qui existaient depuis celle dite « Huriet-Sérusclat » de 1988 – la première en Europe à réglementer la recherche biomédicale. « Le pédiatre devait fournir un rapport d’expertise sur le dossier de recherche – pertinence du projet, balance bénéfices-risques, contraintes pour l’enfant et sa famille, critères de rédaction, etc. – mais aussi être présent lors de la délibération du protocole pédiatrique, souvent en visio depuis l’épidémie de Covid. Il avait une voix délibérative, équivalente aux autres membres, même s’il était extérieur au CPP », décrit la Dr Aubert-Fourmy.

Mais la présence d’un pédiatre n’est plus indispensable depuis l’abrogation de cet article R1123-14, le 22 mars 2021. L’expertise pédiatrique n’est plus encadrée que par l’arrêté du 14 octobre 2020 modifié le 12 mai 2021, qui réglemente le tirage au sort des CPP (le projet de recherche déposé sur une plateforme par le promoteur, industriel ou institutionnel, est attribué aléatoirement à un CPP). Le nouvel arrêté de 2021 prévoit seulement que « chaque comité précise dans le système d’information s’il dispose en son sein ou s’il peut recourir à une personne compétente en matière de pédiatrie ». De là, la désignation aléatoire du CPP pour un protocole de recherche portant sur des mineurs est réalisée parmi ceux qui disposent de cette expertise. Mais près de la moitié des CPP n’ont actuellement pas de pédiatre comme membre permanent, selon la Dr Aubert-Fourmy.

« Nos craintes se sont avérées fondées »

La pédiatrie est ainsi reléguée au même rang que d’autres spécialités techniques (car les comités doivent aussi mentionner s’ils ont un spécialiste des essais de phase précoce, en rayonnement pour l’imagerie, de radiothérapie, de thérapie cellulaire et génique, d’oncologie, d’assistance médicale à la procréation et de génétique). Et surtout « le CPP peut se contenter du simple rapport d’expertise d’un pédiatre faisant partie du CPP ou non, et il n’est pas demandé à ce pédiatre d’être présent, ni de participer à la délibération », s’insurge le Cerped.

« Dès 2021, nous nous sommes inquiétés de dérives possibles. Et nos craintes se sont malheureusement avérées fondées au fil du temps car des CPP acceptent des protocoles pédiatriques sans avoir de pédiatre et rendent des avis sans qu’un pédiatre n’ait lu le protocole », explique la Dr Aubert-Fourmy. « Pire encore », la secrétaire générale s’offusque du silence de la Direction générale de la santé (DGS), pourtant alertée par le Cerped. « Dans une réponse écrite en novembre 2024, le pôle de coordination de la DGS indique : “Les CPP déclarent leurs compétences dans le SI RIPH2G (système d’information de recherche impliquant la personne humaine de 2e génération, NDLR). Le système de tirage au sort est alors programmé pour attribuer aléatoirement les dossiers concernant des mineurs à des CPP ayant déclaré une compétence pédiatrique. Toutefois, si dans la fenêtre de tir, aucun CPP ne possédant cette compétence n’est disponible, alors l’attribution du dossier s’effectuera automatiquement auprès d’un CPP n’ayant pas déclaré cette compétence” », cite-t-elle.

Des CPP acceptent des protocoles pédiatriques et rendent des avis sans avoir de pédiatre

Dr Chantal Aubert-Fourmy, secrétaire générale du Cerped

Un flou juridique qui fâche

Les membres du Cerped déplorent ce flou juridique. Certes, une expertise pédiatrique reste nécessaire pour les essais cliniques sur les médicaments, qui sont encadrés par un règlement européen. « Mais pour toutes les autres études hors médicaments, qui peuvent avoir des conséquences pour l’enfant, les textes peuvent être sujets à interprétation. Les dossiers peuvent être revus par quelqu’un qui ne connaît absolument rien aux spécificités de l’être en développement, du nouveau-né voire de l’anténatal, et jusqu’à 18 ans, en passant par l’adolescence », désapprouve la Pr Hélène Chappuy, présidente du Cerped et cheffe de service des urgences de l’hôpital Necker (AP-HP).

Et il ne faut pas croire que les recherches hors médicaments, qu’elles concernent des dispositifs médicaux, des techniques de diagnostic ou des maladies rares, soient anodines. « Je me souviens d’un protocole de méthode diagnostique en neurologie pédiatrique où les enfants devaient passer des examens sophistiqués loin de leur domicile. C’était très lourd », témoigne la Dr Aubert-Fourmy. « Il est nécessaire d’évaluer l’impact sur le développement de l’enfant du protocole de recherche », abonde la Pr Agnès Linglart, présidente de la Société française de pédiatrie et pédiatre endocrinologue à l’hôpital AP-HP Bicêtre Paris-Saclay. L’expert est d’ailleurs chargé d’évaluer dans son rapport la gradation du risque des protocoles qui tombent sous le coup de la loi Jardé et sont classés RIPH 1, 2, ou 3 (lire encadré). En plus de l’acceptation de l’enfant, « le consentement des parents est nécessaire pour les deux premiers grades, tandis que le troisième ne demande qu’une non-opposition », précise la Pr Chappuy. À noter que si l’enfant refuse, il ne sera pas inclus dans le protocole de recherche, malgré un éventuel accord des parents.

Parce que l’enfant est un être en développement, les effets d’un protocole de recherche doivent être analysés à court, moyen et long termes

Pr Hélène Chappuy, présidente du Cerped

Les spécialistes défendent la spécificité de leur regard. « L’enfant, par rapport à un patient adulte, est un être en développement. Les effets d’un protocole de recherche doivent donc être analysés à court, moyen et long termes, poursuit la Pr Chappuy. Sans oublier qu’il faut prendre en compte la présence et les conséquences du projet sur les parents et la fratrie, ce qui n’existe pas en médecine adulte. » Ainsi que les risques psychosociaux qui s’aiguisent lors de l’adolescence. « Sans ces compétences propres à la pédiatrie, il est difficile de répondre à la question : est-il éthique de mener tel protocole sur ces patients vulnérables ? », considère la présidente du Cerped.

Sans les pédiatres, la méconnaissance risque aussi de fermer l’accès des plus jeunes à des protocoles de recherche par excès de prudence. « D’aucuns peuvent refuser une recherche en se disant que le protocole est trop lourd, quand le pédiatre saura qu’un enfant, moyennant telle ou telle adaptation, peut être inclus », ajoute la Pr Linglart. Car les experts pédiatres sont aussi là pour soumettre au promoteur de la recherche des propositions de modification.

D’aucuns peuvent refuser une recherche en se disant que le protocole est trop lourd, quand le pédiatre saura qu’un enfant, moyennant telle adaptation, peut être inclus

Pr Agnès Linglart, présidente de la Société française de pédiatrie

Pour les spécialistes, il est fallacieux de se cacher derrière l’argument de la démographie médicale, selon lequel le manque de pédiatres risque d’allonger les délais de réponse aux protocoles de recherche. « Au niveau européen, la France occupe la 2e place en termes de rapidité et de volume d’inclusion, tous CPP confondus. On tient toujours les délais imposés », répond la Dr Aubert-Fourmy. Et les experts pédiatres ont leur réseau de surspécialistes pour les pathologies rares.

Les représentantes du Cerped et de la SFP souhaiteraient qu’un décret impose à nouveau une expertise pédiatrique pour les recherches sur mineurs, y compris hors médicament. « Idéalement, il faudrait revenir à la soumission d’un dossier et à des discussions en présentiel », commente la Dr Aubert-Fourmy. « Nous avions aussi discuté dès 2021 de la possibilité d’identifier au niveau national des CPP purement pédiatriques. Mais cela va à l’encontre du principe du tirage au sort et risquerait de faciliter le copinage. Une troisième possibilité consisterait à avoir un pool de pédiatres mobilisables en cas de projet pédiatrique mais c’est compliqué à mettre en place », précise la Pr Chappuy. À nouveau alertée par un président de CPP en janvier 2025, la DGS n’a toujours pas pris langue avec le Cerped à ce sujet.

(1) « Lorsque le projet de recherche porte sur des personnes mineures de moins de seize ans, le comité s'adjoint la compétence d'un pédiatre si le comité ne comprend pas en son sein un tel spécialiste. (…) Ces spécialistes participent aux séances du comité pour les besoins de la recherche considérée et prennent part aux délibérations relatives à cette recherche. »

Quatre catégories de recherche

• Les recherches sur les médicaments : elles sont soumises à un règlement européen, qui fait de la création du portail CTIS (Clinical Trial Information System) un point d’entrée unique pour les demandes et les autorisations d’essais cliniques de l’ensemble des 27 États membres de l’Union européenne (UE) ;

• Les investigations cliniques sur les DM (dispositifs médicaux), régies par le règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux ;

• Les recherches ne portant ni sur les médicaments ni sur les DM, où la loi Jardé reste en vigueur avec les trois catégories en fonction de l’importance des risques et des contraintes de la recherche (RIPH 1 interventionnelles, RIPH 2 à risques et contraintes minimes et RIPH 3 recherches non interventionnelles, comme pour l’épidémiologie) ;

• Les recherches ne nécessitant pas de soumission à un CPP, par exemple sur les données archivées, l’évaluation de pratiques professionnelles, etc. Un comité d’éthique local ou spécialisé dans la problématique concernée peut donner un avis consultatif (exigé pour la publication des résultats).

Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin