LE QUOTIDIEN : Que s’est-il passé à l’hôpital Ibn Al-Nafis le 8 décembre, jour de la chute du régime de Bachar Al Assad ?
Dr MOHAMAD NOUR AL HAMAD : Ce jour-là, nous avons d’abord vu arriver dans la matinée beaucoup de blessés de guerre liés aux affrontements entre les rebelles et l’armée régulière. Ce n’est que plus tard dans la journée que nous avons commencé à recevoir des détenus de la prison de Saidnaya, une trentaine, tous dans un état de santé général catastrophique. Ils présentaient des troubles du comportement, des troubles psychologiques et des troubles nerveux. Beaucoup étaient complètement désorientés. Ils étaient âgés entre 20 et 35 ans et emprisonnés depuis au moins cinq ou six ans. Nous avons aussi constaté des traces de torture sur les corps. L’un d’entre eux avait reçu plus de 50 brûlures de cigarettes, en plus des marques de coups et des cicatrices de sévices. Après analyses, nous avons relevé chez la plupart d’entre eux des dysfonctionnements urinaires et rénaux, une déshydratation et une malnutrition sévère ainsi que des troubles du foie. À cela il faut ajouter les maladies contagieuses, car ils étaient la plupart du temps enfermés en groupes. Nous avons ainsi détecté du choléra mais aussi des hépatites A et B et la tuberculose.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez ces patients ?
Sans aucun doute leur état d’inconscience et d’amnésie grave. L’un d’entre eux n’arrivait même plus à s’exprimer. Il ne disait que deux phrases. Quand on lui demandait son prénom il répondait « je ne m’appelle plus » et lorsqu’on lui demandait son âge ou son adresse il disait seulement « j’ai oublié ». Un autre ne parlait pas du tout et ne répondait que par des éclats de rire quand on lui posait des questions. Aussi leur aspect physique était très dégradé. À tel point que certaines familles n’arrivaient pas à reconnaître leurs proches. Un père n’a pu distinguer son fils que grâce à une cicatrice qu’il avait sous l’aisselle.
C’était très difficile d’examiner ces patients et d’obtenir des informations de leur part. Aussi beaucoup de familles de disparus se sont précipitées à l’hôpital pensant y trouver leur proche. Pour éviter l’encombrement, nous leur avons demandé de laisser sur le mur de l’entrée une affiche avec le nom, la photo et un numéro de téléphone afin de les recontacter si jamais leur proche se présentait. Aujourd’hui, tous les anciens détenus sont rentrés chez eux et la pression est redescendue. Mais les premiers jours après la prise de Damas, la situation était très tendue, car en Syrie nous manquons de tout.
Quel est l’état du système sanitaire syrien aujourd’hui ?
Notre hôpital fait partie des six hôpitaux publics de Damas. C’est-à-dire que les patients n’ont rien à débourser quand ils viennent se faire soigner. Cependant, nous manquons gravement de médicaments. D’abord en raison de la crise économique, mais aussi, à cause de la corruption qui avait lieu à l’intérieur de l’hôpital. Une part non négligeable de nos stocks était réquisitionnée par des hommes du régime qui venaient régulièrement se servir afin de faire du trafic ou d’alimenter les pharmacies des hôpitaux privés dans lesquels la classe dirigeante allait se faire soigner. On manquait aussi cruellement de personnel. Il y a encore six mois, un médecin titulaire était payé seulement 90 000 livres par mois (7 euros, NDLR). Pour enrayer l’exode vers l’étranger notre salaire a été augmenté à 430 000 livres (31 euros, NDLR) au mois de mai. C’est toujours insuffisant. Le départ du président Bachar Al Assad permet enfin d’espérer un avenir meilleur. Je souhaite de tout mon cœur le retour des ONG et des agences onusiennes afin que la médecine syrienne, qui était une des meilleures du monde arabe, retrouve son prestige et surtout, soit enfin respectée.
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes