Dans une lettre adressée vendredi 21 octobre aux ministres François Braun (Santé et Prévention) et Olivier Dussopt (Travail, Plein Emploi et Insertion), le président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), Dr Thierry Lardenois, demande des éclaircissements sur la mise en place de l’amendement de Philippe Juvin (Les Républicains), retenu suite au 49.3 engagé par Élisabeth Borne sur une partie du PLFSS 2023.
Cet amendement exonère de cotisations d'assurance vieillesse en 2023 les médecins libéraux en cumul emploi-retraite, sous réserve d’un montant de revenus plafonné qui sera fixé ultérieurement par décret. Son but est de « maintenir en activité les médecins actuellement en place, le plus longtemps possible », précise l’exposé sommaire de l’amendement.
12 422 médecins en cumul emploi-retraite
Le texte cite l’exemple de l’Île-de-France, « premier désert médical en France avec plus de 96 % du territoire considéré comme une zone d’accès aux soins difficile », qui « compte par exemple près de la moitié de ses médecins libéraux en activité à plus de 60 ans, et un quart à plus de 65 ans ». Ainsi, « dans ce contexte, il est tout à fait anormal que les médecins libéraux en cumul emploi-retraite continuent à payer des cotisations retraites ne leur ouvrant aucun droit supplémentaire », poursuivent les signataires dans cet amendement. En moyenne, la cotisation est de 9 850 annuelle pour un médecin en secteur 1 et 16 443 euros en secteur 2.
Selon des chiffres de la Carmf cités par l’amendement, « 12 422 médecins sont déjà en situation de cumul emploi-retraite » soit 10 % et « 27 % des 79 830 médecins retraités ont moins de 70 ans et représentent autant de professionnels qui peuvent être remobilisés ». Interrogé, le Pr Philippe Juvin explique : « Je veux faciliter la vie des médecins. Quand on voit qu’un quart des psychiatres libéraux en exercice sont retraités et que d’autres médecins seraient d’accord de reprendre une activité… c’est du bon sens ! Ils ne doivent pas cotiser alors qu’ils n’ont pas de nouveau droit à la retraite. C’est une proposition logique. »
Près de 200 millions d'euros de pertes de recettes potentielles
Une proposition logique ? Pas pour tout le monde ! En réponse, la Carmf rappelle que le revenu moyen sur lequel s'applique la cotisation « n’est inférieur que de 27 % à celui des médecins n’ayant pas liquidé leur retraite. » Les médecins libéraux en cumul emploi-retraite perçoivent par ailleurs leur retraite.
En cas d’exonération des cotisations, précise le président de la Caisse, « le manque à gagner du régime pourrait aller jusqu’à 7,3 % des cotisations à hauteur d’un milliard d’euros, soit 73 millions d’euros. Le manque à gagner serait du même ordre de grandeur dans le régime ASV, et d’environ 45 millions d’euros dans le régime de base. » Au total, poursuit-il dans sa lettre adressée au gouvernement, « ce sont près de 200 millions de pertes de recettes potentielles et même si le plafond de revenus vient réduire ces pertes, elles impacteraient à coup sûr les résultats du régime complémentaire déjà déficitaire et du régime ASV tout juste proche de l’équilibre ».
De surcroît, argumente le Dr Ladernois, « il n’est pas certain que ces exonérations entraînent un supplément de médecins en cumul et les cumulants actuels, dont la situation financière n’est pas défavorable par rapport aux médecins actifs, bénéficieraient d’une rente de situation injustifiée. Cette mesure pourrait même inciter certains médecins à avancer la liquidation de leur retraite afin de bénéficier d’un supplément de rémunération, sans augmenter le nombre global de médecins en exercice libéral ». Ce à quoi le Pr Juvin rétorque que « le pari que je fais, c’est que les médecins seront plus nombreux à travailler. La priorité n’est pas de nourrir la Caisse des médecins, mais d’avoir plus de praticiens qui exercent sur le territoire ».
La revalorisation sur la retraite complémentaire dans la balance
En conclusion de son courrier, le président de la Carmf interroge le gouvernement. « Si cette exonération devait être confirmée, elle devrait donner lieu à compensation financière du budget de l’État aux différents régimes concernés, conformément à l’article L 131-7 du Code de la Sécurité sociale. À défaut, la Carmf serait dans l’obligation d’annuler la revalorisation du point de retraite complémentaire envisagée au 1er janvier 2023. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’indiquer les dispositions que vous comptez prendre dans ce contexte. »
La perte de recettes pour l’Assurance maladie serait « compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés à l’accise sur les tabacs », précise l’amendement adopté. Le Pr Juvin parle, lui, d’un « artifice procédural », consistant à rendre un amendement recevable en le gageant. « Peu importe, il n’y a pas à financer une retraite qui n’est pas perçue », détaille-t-il.
Sur la suite des débats, le député fraîchement élu assure qu’il va « continuer à proposer des amendements et être ouvert à la discussion » car il « ne désespère pas de bâtir des majorités ». De plus, « je m’aperçois que la configuration de l’Assemblée permet de faire adopter des amendements qui, sous l’autre législature, ne l’auraient pas été ! », confie-t-il. Quid de la régulation à l’installation des médecins ? « Je ne veux pas de conventionnement sélectif ni de coercition, il faut absolument l’éviter. Ces mesures n’ont pas de sens dans un système pénurique », répond le Pr Juvin, ferme.
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