« Nous faisons de la médecine de guerre », jugeait ce lundi le Dr Alain Domercq, président de la coordination interrégionale de la Réunion/Mayotte de l’Ordre des médecins.
Ce week-end, le cyclone Chido a ravagé une grande partie de l’archipel de Mayotte, dans l’océan Indien. Les rafales de vent, historiquement fortes, ont atteint jusqu’à 230 km/h et les dégâts matériels et humains seront colossaux, plongeant la population et tous les soignants mobilisés dans l’incertitude et l’angoisse. « Le centre hospitalier de Mayotte est dans une situation critique, ajoute le généraliste au Quotidien. L’hôpital est touché par des inondations, certains plafonds se sont effondrés. L’établissement fonctionne à 25 ou 30 % de sa capacité normale. »
Le service d’obstétrique de Mamoudzou est à 70 % inutilisable en l’état en raison des lits détruits ou endommagés, a alerté de son côté le Dr Roger Serhal, chef du service, évoquant lui aussi une scène de guerre. Seule la salle de naissance demeure « intacte », a-t-il assuré sur Franceinfo ce lundi.
Arrivés sur place, les ministres démissionnaires Bruno Retailleau (Intérieur) et François-Noël Buffet (Outre-mer), estiment de leur côté qu’il « faudra des jours et des jours », ne serait-ce que pour établir un bilan humain. Le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, redoute « plusieurs centaines » voire « quelques milliers » de disparus.
Les difficultés d’accès à l’eau, à l’électricité et à la nourriture inquiètent les autorités. « C’est une catastrophe historique, insiste le Dr Alain Domercq auprès du Quotidien. Faudra-t-il reconstruire l’hôpital ? Comment vont les cabinets médicaux, les dispensaires ? Le bâtiment de l’ARS a été touché, la majorité des Mahorais ont leur logement endommagé ou détruit ». Les centres médicaux sont « inopérants », a confirmé ce lundi la ministre de la Santé démissionnaire, Geneviève Darrieussecq. La maison de la Dr Anne-Marie de Montera, conseillère de l’Ordre départemental des médecins à Mayotte, n’a pas non plus résisté à la puissance dévastatrice du cyclone.
Réserve sanitaire et hôpital de campagne
Dans ce contexte, une centaine de médecins, infirmiers et aides-soignants de la réserve sanitaire partiront très rapidement pour renforcer les équipes médicales. Des envois massifs de matériels sont programmés. « Dès hier, 21 médecins de La Réunion sont partis prêter main-forte à Mayotte », complète le Dr Alain Domercq. Un hôpital de campagne sera bientôt déployé pour prendre en charge l’afflux de patients.
Parallèlement, les évacuations sanitaires vers l’île de La Réunion située à 1 400 km à vol d’oiseau « se poursuivent », a précisé Geneviève Darrieussecq. Le pont aérien et maritime doit permettre aussi d’envoyer rapidement du matériel (notamment des postes sanitaires mobiles pouvant prendre en charge jusqu’à 1 000 blessés), du personnel médical et de secours. Jusqu'à présent, la « première urgence a été de repérer les malades chroniques lourds et de les évacuer » vers La Réunion, a expliqué la ministre.
Tandis qu’Emmanuel Macron devait présider à 18 heures une réunion au centre interministériel de crise, l’Ordre national des médecins (Cnom) a annoncé qu’il allait solliciter sans délai ses ressources et son service de l’entraide « afin que les médecins puissent trouver tout le réconfort psychologique et l’aide financière nécessaires ». L’institution ordinale appelle à la mobilisation des médecins disponibles afin de « rétablir l’accès aux soins vis-à-vis de la population mahoraise, sans distinction d’origine et de situation administrative, régulière ou non ».
Un seul hôpital pour 321 000 personnes
Malgré une population qui double tous les 20 ans et atteint aujourd'hui 321 000 personnes, Mayotte ne compte qu'un seul hôpital (le CHM) - avec un site principal à Mamoudzou hébergeant les trois quarts des lits et quatre autres petits sites assurant une présence médicale 24 heures/24.
Le CHM assure ainsi 72 % des soins de l'île, selon deux rapports des commissions des Affaires sociales du Sénat (2022) et de l'Assemblée nationale (2024). Mais cet hôpital est sous-dimensionné, estimait déjà lgas, en 2017, tandis que le taux moyen d'occupation des lits frôlait les 150 %. Cela se traduit régulièrement, selon les sénateurs, par « des files d'attente immenses, dès le matin, devant les centres de consultation ».
Avec seulement 260 médecins en activité, l'île ne compte que 81 médecins pour 100 000 personnes, contre 353 en France métropolitaine, soit un rapport d’un à quatre. Le nombre de lits d'hospitalisation disponibles représente à peine 40 % de la moyenne française. L'hôpital est de fait en pénurie chronique de soignants, avec un grand nombre de contrats courts, de renforts venus de métropole et des praticiens étrangers.
En ville, l’offre de soins est notoirement insuffisante – le département affichant en 2023 la plus faible densité médicale. De surcroît, les professionnels sont « concentrés à Mamoudzou, faisant du nord et du sud de l'île un véritable désert médical », soulignait dans un rapport l'infectiologue Renaud Piarroux, intervenu au printemps à la demande des autorités à la suite de l'épidémie de choléra qui frappait l'île. De mars à la mi-juillet, l’archipel a connu une épidémie de choléra qui a fait au moins cinq morts.
Avant même le cyclone, les indicateurs de santé publique de Mayotte étaient déjà particulièrement dégradés : l'espérance de vie y est inférieure de sept ans pour les femmes et onze ans pour les hommes par rapport à la moyenne nationale. Le taux de couverture vaccinale est plus faible, le taux de mortalité infantile et la prévalence des maladies chroniques fortement supérieures à la moyenne nationale. À Mayotte, 29 % des ménages ne disposaient pas de l'eau courante en 2017.
Autre défi immédiat, selon la ministre : les autorités vont devoir mettre en place une « veille sanitaire forte » pour détecter d'éventuelles « maladies contagieuses émergentes venant de la consommation d'eau polluée ou d'aliments avariés », même si une épidémie n'est aujourd'hui « pas à l'ordre du jour ».
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