L’hôpital public français est face à une situation de restructuration sans précédent depuis les années 2000. Et les défis sont nombreux : développement des maladies chroniques avec le vieillissement de la population, désertification médicale, révolution de la santé numérique, place prépondérante du patient au sein du parcours de soins. Face à l’inquiétude suscitée par ces changements et à la crainte des Français de perdre de la qualité dans leur hôpital public, la Fédération hospitalière de France (FHF) a jugé utile d’établir une prospective pour le futur*. Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé de Sciences Po, estime cette projection dans l’avenir nécessaire. « C’est une nouveauté. Auparavant, le système n’avait pas besoin de se poser cette question. » En bon connaisseur du système de santé, il ne pense pas que l’organisation collective de la santé soit quelque chose de naturel en France : « La santé n’a pas été par le passé régulée par les pouvoirs publics. L’organisation n’a pas permis de planifier l’évolution du système pendant cette période faste en pleine expansion où des médecins étaient recrutés en nombre. »
Un changement de paradigme
Nous avons donc affaire à un vrai changement de paradigme. Pour Didier Tabuteau, le système, qui vit une pression considérable, est dans une recherche d’efficience comme on ne l’a jamais vu. Il cite les raisons principales de ces difficultés d’adaptation. D’abord, il constate une dichotomie profonde entre la prévention et les soins. Le système de santé a privilégié ces derniers pour garantir l’autonomie des professionnels de santé par rapport à l’autorité publique. Cette division est extrêmement pesante pour l’évolution du système et va à l’encontre de la prévention qui sera le pilier du XXIe siècle. Autre schisme, celui entre la médecine de ville et l’hôpital depuis les ordonnances Debré de 1958 et la création des centres hospitaliers universitaires. Ce cloisonnement entre ville et hôpital est une réelle entrave au développement du virage ambulatoire. Enfin, débat fort de la campagne présidentielle, il existe aussi un clivage profond entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire.
Gérard Vincent, ancien délégué de la FHF, partage ce point de vue. « Les patients vivent un véritable « parcours du combattant » (parcours de soins), ce qui explique leur recours massif aux urgences et provoque un encombrement. » Il évoque également le « fonctionnement en silo » du système de santé dû au cloisonnement ville-hôpital. Enfin, le manque d’attractivité médicale renforce les déserts médicaux. Le desserrement du numerus clausus n’a pas apporté de remède selon lui.
Quelles solutions d’avenir apportent les deux intervenants ?
Travail en équipe chez les libéraux
Didier Tabuteau dresse un tableau plutôt positif et lance des pistes pour atteindre une évolution plus favorable du système de santé. Il souhaite faire de la santé publique une priorité de l’action collective. Cela passe par un rééquilibrage en faveur de la prévention. Il faut aussi dépasser le modèle médical français arc-bouté sur la séparation ville-hôpital en mettant en avant la création massive de maisons de santé : « Le travail en équipe est en train de creuser son sillon dans la médecine de ville », assène-t-il. Autres facteurs majeurs, la télémédecine et la révolution numérique auront une influence déterminante sur l’offre de soins générée. Enfin, il revient sur sa proposition phare qui avait relancé le débat en santé suite au candidat Fillon, à savoir économiser 7 milliards d’euros de frais de gestion en supprimant les mutuelles dans le système de santé français.
Big data et intelligence artificielle
Gérard Vincent insiste quant à lui sur le virage ambulatoire qu’il faudra bien prendre en chirurgie, en cancérologie et dans toutes les autres maladies chroniques. L’essor du big data et de l’intelligence artificielle sera aussi déterminant pour l’avenir de la radiologie. Comment se transformeront les secteurs de la radiologie classique et de l’Anapath, pour ne prendre que ces exemples ? Il met en garde contre la baisse de l’hospitalisation classique. Il y voit un paradoxe : « Comment prendrons-nous en charge les personnes âgées qui seront hospitalisées en grand nombre si l’on baisse trop drastiquement le nombre de lits ? », s’interroge-t-il. Et surtout il est fort peu probable selon lui que les politiques remettent en cause la liberté d’installation des médecins qui ne souhaiteront pas participer à la permanence des soins.
Les pays anglo-saxons l’ont fait
Afin d’ouvrir le champ des possibles, l’ancien DG de la FHF compare la situation de la France avec celle des pays anglo-saxons. Au Royaume-Uni en 2012, le regroupement des libéraux imposé par les pouvoirs publics a fonctionné. Avec l’Obamacare en 2010, la création d’organismes de soins accessibles dans le cadre de groupements ville-hôpital sur un territoire donné est aussi une réussite. En témoignent les 9 % de la population américaine qui en bénéficient dorénavant. Didier Tabuteau délivre aussi d’autres pistes pour l’avenir : « La Sécurité sociale va s’intégrer. Nous aurons intérêt à avoir des continuum de prise en charge. En tout cas, le leadership ne devra être donné ni à l’hôpital ni aux médecins libéraux. » Selon lui, la réforme passera par le financeur, mais là encore il n’en attribue la solution ni à l’assurance maladie ni aux complémentaires : « Il faut un mode de gouvernance qui se fasse de façon à orienter les financements de manière plus favorable vers ceux qui joueront le jeu. » Le directeur de la chaire santé du Cnam reste malgré tout optimiste : « Le système de santé est parfaitement soutenable et n’est pas au bord du gouffre. Il n’est pas figé et a une capacité d’adaptation considérable. » A bon entendeur…
*Conférence sur la « Prospective hospitalière » lors de Paris Healthcare Week, le 17 mai 2017.
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