Ambiance confraternelle, jeudi soir, au siège parisien de l’Ordre national des médecins, malgré un lourd parfum d’instabilité politique provoquant quelques sourires crispés sur la longévité des ministres de la Santé…
Le Dr François Arnault, président de l’institution ordinale, recevait le nouveau locataire de Ségur Yannick Neuder (le neuvième ministre de la Santé des mandats Macron) pour ses traditionnels vœux à la profession. L’occasion pour le président de l’Ordre, en fin de mandat, de saluer le chemin parcouru (« Nous avons tourné le dos à l’immobilisme et au corporatisme, nous écoutons la société ») mais aussi de tracer les priorités dans un contexte de mutation profonde de l’exercice et de pénurie médicale.
L’un après l’autre, le président de l’Ordre puis le ministre ont affiché leur détermination à « faire bouger les lignes » pour améliorer, voire sauver, un système de santé en souffrance. Sans oublier d’exprimer, chacun dans leur registre, leur soutien aux médecins mahorais et à la population dans l’épreuve. « Par simple comparaison, notre vie semble douce et tranquille dans l’Hexagone », a glissé le président de l’Ordre.
La profession va se transformer
Le premier défi concerne l'accès aux soins, fragilisé partout, et pour plusieurs années encore. Face aux tensions démographiques qui impactent directement la population dans de très nombreux territoires, « notre profession, quelle que soit sa spécialité, doit et va se transformer », a souligné le président de l’Ordre. Le message est clair : le médecin doit être moteur de la nouvelle donne, du moins ne pas subir les évolutions.
L’Ordre appelle ainsi les médecins à s’approprier les évolutions technologiques pour « moderniser » leurs pratiques. Le développement de l’intelligence artificielle, y compris au sein des cabinets, « va impacter fortement l’exercice », ajoute l’ORL, qui cite déjà l’exemple spectaculaire des logiciels de consultation. Face à ces transformations digitales, le médecin doit rester « maître de ses compétences et de la qualité des soins qu’il donne aux patients ». « L’IA ne remplacera pas le médecin », recadre le Dr Arnault, mais elle pourra l’épauler, aboutissant au médecin du futur, « augmenté ». Quant à la télémédecine, « outil formidable », il faudra que les médecins respectent les règles intangibles de qualité et de sécurité des soins, qui engagent leur responsabilité.
Collaborer avec les paramédicaux et les élus locaux
La transformation de l’exercice passe également par une nouvelle organisation des soins dans chaque territoire, une territorialisation que le ministre de la Santé appelle lui aussi de ses vœux. De la parole aux actes : depuis 2016, l’Ordre promeut à cet effet « l’équipe de soins territoriale ». Elle doit permettre aux diverses professions de santé mobilisées de prendre en charge le patient, « chacune avec leurs compétences… et coordonnées par les médecins ». Par cette précision, le patron de l'Ordre marque son terrain face à la partition jouée un peu trop fort par l'Ordre infirmier. Ce dernier a réclamé une série de consultations en « accès direct » et une autonomie renforcée de la profession infirmière.
La réorganisation territoriale passe aussi par une collaboration plus active et constructive avec les élus locaux. Hélas, trop souvent, « seule la fausse bonne idée de la coercition à l’installation ressort des projets des politiques », a mis en garde le Dr Arnault, provoquant un léger sourire du ministre Yannick Neuder. Le ministre de la Santé n’ignore pas la sensibilité de ce dossier alors qu’il existe dans les tuyaux une proposition de loi transpartisane signée par plus de 200 députés visant à remettre en cause la liberté d’installation.
La formation est un autre enjeu clé sur lequel les deux hommes peuvent se retrouver. Tous deux défendent des réformes visant à assouplir et à fluidifier le système de formation mais aussi à diversifier les carrières comme « l’assouplissement des filières, les activités partielles, les activités secondaires », énumère le Dr Arnault.
Devant des représentants de la conférence des doyens, le ministre de la Santé a appelé, dans la même veine, à « favoriser le deuxième DES », « le changement de filière » et « l’ouverture des passerelles avec un double cursus sur certaines spécialités ». Fini l’approche monolithique et le schéma unique. Yannick Neuder a déploré « un système de formation beaucoup trop restrictif », qui conduit à beaucoup de renoncements et de départs. « Dans certaines professions, 50 % des effectifs sont formés à l’étranger », s’est désolé Yannick Neuder, déterminé à « supprimer le numerus » pour pouvoir définir des besoins de formation, « naturellement en fonction des besoins des territoires, des capacités de formation ». Une réforme déjà engagée depuis la suppression du verrou du numerus clausus remplacé par un numerus apertus.
La médecine esthétique, « aspirateur qui détourne les diplômes »
Saluant le rôle central de l’Ordre, « garant de la déontologie et de l’éthique », Yannick Neuder a promis de l’accompagner dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles - dossier sur lequel le bureau actuel de l’Ordre est très mobilisé et prône la tolérance zéro - et aussi l’insécurité des soignants, au lendemain d’une violente agression à l’hôpital privé d’Annemasse. Autres dossiers partagés entre l’Ordre et l’exécutif : la mise en place d’un nouvel « assistanat territorial » d’une ou deux années (post-internat dans les zones sous-denses) ou encore l’encadrement de la médecine esthétique, « véritable aspirateur qui détourne les diplômes », juge le président de l’Ordre.
« La tâche est immense et la responsabilité encore plus grande », a glissé Yannick Neuder. « Je sais que je vais pouvoir compter sur un système qui va me permettre… de durer dans le temps pour conduire les réformes nécessaires », a plaisanté le successeur de Geneviève Darrieussecq, qui se sait, comme tout le gouvernement, sur un siège éjectable.
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