La « guérilla » administrative. Le mot d’ordre est lancé, et il annonce la couleur pour la suite de la grève. Les médecins libéraux ne veulent rien lâcher. L’heure est à peine au bilan des jours de grève de la fin 2014, que l’année 2015 démarre sous les mêmes hospices. L’objectif est de montrer que la fermeture des cabinets n’était pas qu’un coup d’épée dans l’eau, et que le mouvement s’inscrit dans la durée, jusqu’à ce que ses revendications aient été satisfaites. La poursuite du mouvement est demandée et guidée par la base : « Les médecins sont mobilisés. Ils viennent nous voir pour nous demander ce qui se passe ensuite, souligne Luc Duquesnel, et je pense que, même nous, nous avons sous-estimé l’exaspération des médecins ».
Appel à la grève de la télétransmission
À peine passée la Saint-Sylvestre, la plupart des mots d’ordre des syndicats ont convergé dans le sens d’une grève administrative. Dès le 2 janvier, la CSMF a appelé à la grève de la carte Vitale. Excepté lorsque cela pose un problème financier au patient, les médecins sont encouragés à faire des feuilles de soin. Ils sont donc incités dès maintenant à en commander. Enfin, quand c’est possible : « D’ores et déjà, en Alsace ou en Loire-Atlantique, ce n’est pas possible d’obtenir des feuilles de soins papiers », souligne Luc Duquesnel.
Même si la consigne n’est pas venue d’une seule voix, elle est grosso modo la même pour les autres syndicats. MG France, le SML ou la FMF appellent également à la grève de la télétransmission. Tous veulent aussi mettre en place la grève des téléservices?; les médecins grévistes enverront donc les formulaires pour les accidents du travail, les affections longue durée ou encore les demandes d’entente préalable par voie postale. Le but de ces actions : encombrer le système et « marquer au fer rouge la Cnamts ». « La caisse ne respecte pas ses engagements, donc nous non plus », avance Luc Duquesnel. « On passe notre temps à faire une partie du travail de l’Assurance maladie » , renchérit Claude Leicher. Et peu importent les conséquences d’une telle grève : « La ROSP, on s’en fout, s’ils veulent faire la révolution, on est prêts à aller jusqu’au bout », s’emporte le nouveau président du SML, Eric Henry.
Même si la grève du zèle rassemble les syndicats, la FMF et MG France se distinguent sur la grève des gardes. L’appel lancé pendant la grève est maintenu du côté de MG et même relancé par la FMF qui annonce une « grève illimitée » de la permanence des soins.
Comme pour la grève administrative, le but est de provoquer un surcroît de travail, mais cette fois-ci pour les Agences régionales de santé. Du côté des autres syndicats, l’initiative ne remporte pas forcément l’adhésion : « Les réquisitions ont lieu de façons différentes d’un département à l’autre. Il y a également un doute sur la rémunération des médecins et après dix jours de grève, il ne nous semble pas judicieux de pénaliser encore la rémunération des médecins », explique Luc Duquesnel. « C’est une erreur car c’est donner aux directeurs des Agences régionales de santé des prérogatives bien trop importantes », ajoute Éric Henry.
Malgré ces quelques dissonances, les syndicats veulent néanmoins une nouvelle fois présenter un front uni. « La base est très demandeuse. Du 23 au 31 décembre, partout où il y avait un front unitaire, la grève a rencontré un fort succès », souligne ainsi Jean-Paul Hamon.
Les différents représentants doivent donc se rencontrer pour se mettre d’accord sur la suite à donner aux événements. « Tout est allé très vite depuis la fin de la première phase. Nous n’avons pas eu le temps de nous concerter, mais nous allons le faire. Plus nous serons organisés, plus nous serons cohérents », confirme Éric Henry.
Front uni ou pas, les actions des médecins commencent peut-être à porter leurs fruits. En tout cas, la menace de grève administrative suffit à inquiéter la CNAMTS qui n’est pas visiblement plus armée pour faire face. Si la ministre de la Santé a temporisé pendant les fêtes, la rentrée 2015 est donc synonyme de reprise des négociations. Cette semaine elle a reçu individuellement MG France, mardi, puis la CSMF, mercredi, avant une réunion avec le Front généraliste prévue lundi prochain 12 janvier.
Des avancées inégales selon les revendications
Ces nouvelles rencontres annonçaient une volonté d’ouverture, encouragée par le chef de l’État qui a déclaré cette semaine « comprendre les médecins », mais les syndicats ne se faisaient pas trop d’espoir. Force est de constater que leurs doutes étaient fondés. La CSMF et l’Unof sont ressortis déçus, et même remontés, de ces discussions.
« Rien de nouveau dans le discours qu’elle nous a tenu, explique Jacques Battistoni, de MG France. Elle n’a pas semblé avoir d’idées sur la façon de sortir de la crise. » « C’était surréaliste, déclare, pour sa part, Luc Duquesnel, Marisol Touraine nous a affirmé qu’elle n’avait rien remarqué du 24 au 31 décembre. »
Pour Claude Leicher, les avancées ne sont pas égales selon les revendications. Il se satisfait notamment du fait que la ministre reconnaisse enfin l’existence d’un problème de la médecine générale et de l’ouverture de la discussion sur le sujet.
Sur les points litigieux de la loi de santé, la ministre propose des groupes de travail. Une démarche et une organisation qui a le don d’agacer l’Unof : « Elle nous propose un groupe de travail pour savoir comment organiser le tiers-payant alors que nous rejetons celui-ci », s’irrite Luc Duquesnel. « Le groupe de travail sur la réorganisation du territoire est piloté par une directrice d’ARS alors que celui sur les contours des métiers n’en a même pas », renchérit-il.
Si la discussion est a priori encore possible sur la loi de santé, Marisol Touraine semble être en revanche catégorique sur le C à 25 euros. Elle a répété lors de ces entretiens qu’il n’y avait pas d’argent pour une telle mesure. Si, pour le président de MG France, Marisol Touraine n’est « pas responsable de tout ce qui se passe aujourd’hui », pour d’autres, la « rigidité » de la ministre commence à poser un problème de personne : « Elle ne reculera pas sur sa loi », affirme Jean-Paul Hamon. Et si elle poursuit dans cette voie, on commencera à demander haut et fort sa démission ».
Ces derniers jours, certains politiques, jusque dans le camp de la ministre, s’inquiétaient de l’ampleur de la grogne des médecins libéraux et plaidaient pour des ouvertures. C’est le cas, par exemple, du député, et cardiologue, Gérard Bapt qui a demandé au début du mouvement une réouverture des dossiers et un amendement du texte.
En attendant, que ce soit sur la revalorisation, le caractère obligatoire et l’organisation du tiers payant ou encore le statut de la médecine libérale, les médecins entendent ne pas lâcher et durcir un peu plus la grève si nécessaire. Attention, prévient Claude Leicher, « certains vont finir par passer dans la transgression tarifaire ». Même son de cloche du côté des autres syndicats, ici et là, la menace de la contestation tarifaire commençant à être entendue en régions.
Les médecins se préparent même à continuer leurs actions au-delà du vote de la loi si nécessaire, comme l’assure Eric Henry : « Nous sommes de toute façon le dernier maillon de la chaîne sur le terrain?; donc, si la loi devait passer non réécrite, nous la rendrions impraticable sur le territoire ».
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