Le médecin, dit généraliste alors que nos patients disent « mon médecin » pour le désigner, alors que nos patients disent « mon cardiologue » ou autre lorsqu’ils parlent d’un spécialiste, est un animal d’un autre temps, en voie de disparition programmée.
Si Darwin était encore là, il nous apprendrait que sapiens a évolué en différentes sous espèces administratives dont les médecins, eux-mêmes différenciés en différentes spécialités qui portent un nom et un numéro spécifique pour pouvoir les classer dans un schéma évolutionniste. Le médecin dit « généraliste » lui, est une espèce analogue au Néandertalien considéré jadis comme l’ancêtre du sapiens moderne, donc comme l’ancêtre des spécialistes à intelligence supérieure, ayant gardé son faciès patibulaire, ses outils rudimentaires, capable seulement de maltraiter - dans les différents sens du terme qu’on lui a opposés - les malheureux patients qui osent encore lui demander conseil, maltraitant en prime les caisses de l’État… c’est une mémoire vivante d’un chaînon qui aurait dû disparaître tout comme le cœlacanthe, mais que lui, on essaie de conserver. Son drame est de ne pas avoir évolué en spécialiste, et ce titre ou l’habit avec lequel on le déguise actuellement ne faisant pas le moine, ses jours sont comptés.
C’est un drame, irréversible, qui éclate à la figure des politiques, mis en lumière par l’apparition des déserts médicaux, secondaires à leurs erreurs de vision et de raisonnements, et, consécutivement, aux décisions qu’ils ont prises.
Les exclus de la modernité hospitalière
Le drame a commencé avec la formation médicale qui a évolué sur les 40 dernières années vers une sélection darwinienne, grâce actuellement aux seules épreuves de l’ECN obligatoire pour tous, selon des critères reposant sur les seuls savoirs et besoins techniques hospitaliers, et qui ont rejeté hors du système évolué les exclus de la modernité hospitalière. Pour ces exclus, en remplaçant leur nom de « médecin » par celui de « généraliste », terme aussi de l’ordre du général, de ce qui est sans précision et vague, on a vaguement traduit en haut lieu leur opinion qu’on ne sait pas trop à quoi cela peut bien servir, sauf à boucher les trous du système qu’ils ont créé.
C’est un drame, car avant même d’avoir besoin d’un spécialiste d’organe, en fin de parcours de vie en bonne santé, les patients ressentent, particulièrement aujourd’hui dans la jungle de la post-vérité médiatique, le besoin du recours à ce qu’ils appellent « mon médecin » ; pour les accompagner dans la compréhension et l’acceptation de leur état ou de leur situation, dans les choix médicaux à prendre ; pour se confier et dialoguer en parlant à UNE personne de confiance et compétente dans la connaissance approfondie qu’elle a d’eux et de leurs familles, cela dans la durée et le secret, de leurs certitudes, de leurs croyances mais aussi de leurs doutes et de leurs angoisses face aux aléas de la vie.
Circonstance aggravante, personne n’a su leur donner un nom valide nécessaire au maintien de leur existence, un nom nécessaire pour définir l’étendue de leurs compétences. Anciennement médecin de famille pour rappeler l’importance du tissu familial hors du champ de l’organe d’un individu ; médecin référent qui entre en résonance avec adjudant-chef ; médecin traitant qui recopie les ordonnances ; médecin de premier recours, pour patient qui ne sait pas seul choisir un spécialiste ; médecin territorial afin de pouvoir tenter l’inclusion administrative d’un désert dans une zone non dépourvue, et j’en passe… Chaque dénomination ne décrit en réalité qu’un aspect limité et par défaut de leur fonction de médecin, terme qui désigne seulement la fonction nécessaire et attendue par l’administration en fonction de ses lubies du moment… cela avec la bénédiction des politiques usant trop souvent, voir uniquement de leur fonction de rhéteurs répétiteurs de constats.
Avec le dernier changement de paradigme nouvellement proposé, donc avec la révolution du « passage du soin de l’aigu au soin du chronique », on va sans doute transformer les derniers médecins, aussi dits de soins primaires, pour ne pas dire primitifs en spécialistes de soins de suite.
Il est bien évident que les médecins laissés sur le pavé de la sélection hospitalière ont plusieurs casquettes non réductibles à un nom de spécialité ; à force de vouloir leur en donner un, il faudrait les séparer en au moins trois spécialités indépendantes et au vu de l’évolution surréaliste actuelle, on ne leur gardera que celle dont on estime qu’ils sont dignes.
Spécialiste de premier recours.
Spécialiste appelé pour un nouveau problème médical, médecin qui devrait être un clinicien de premier ordre, capable de faire rapidement la différence – hors milieu hospitalier - devant une douleur abdominale, entre une douleur dite fonctionnelle, une douleur d’origine iatrogénique, une gastro-entérite de bobologue ou une rupture d’anévrisme abdominal, pour rester sur un exemple récent. C’est une fonction des plus gratifiantes, mais aussi malheureusement en survie, car faisant appel à la responsabilité individuelle qui est de moins en moins acceptée quand elle n’atteint pas son but. Un généraliste est comme un pêcheur à la ligne, la plupart du temps il attrape des poissons-chats, c’est le « bobologue » des spécialistes, rarement il attrape un brochet, c’est le « bon médecin », mais à la différence du pêcheur, tout gros poisson qui vient titiller l’hameçon, et qu’il n’attrape pas, envoie immédiatement ce « mauvais médecin » devant les tribunaux, populaire, journalistique et judiciaire. Et le hasard doit statistiquement atteindre chaque médecin… Aucun spécialiste, de nos jours, hors urgentiste, n’accepte plus de participer à un tel coupe-gorge, sauf à voir dans chaque poisson-chat un brochet, et que dame Sécu n’apprécie pas beaucoup voir arriver dans son assiette !
Il est donc probable que cette fonction de généraliste sera bientôt confiée à des « infirmières cliniciennes trieuses de premier recours », secondées par la télémédecine hospitalière ce qui permettra d’échapper à tout problème médico-légal par l’application aveugle de protocoles certifiés, avec cases à cocher, opposables aux patients, avec un coût avancé supposé bien moindre, l’objectif non avouable du protocole étant de transférer la responsabilité individuelle qui ne souffre plus de la moindre faille, sur une responsabilité collective hors du champ judiciaire, journalistique ou populaire.
Spécialiste en prévention
Le drame de cette fonction, qui brille par son absence d’efficacité à la hauteur attendue, est qu’elle est confiée en même temps à différents spécialistes de médecine, aux pharmaciens, aux paramédicaux, car le seul rôle valorisant du généraliste, responsable en chef de cette fonction, spécialiste des seuls cas difficiles comme tout spécialiste qui se respecte, est de comptabiliser les vaccins anti-grippaux effectués par les autres, de comptabiliser les dépistages de cancers gynécologiques effectués par les autres, puis de tenter de compléter… pour avoir une meilleure prime en fin d’année. Haute opinion de ce que pensent les politiques et leurs administrations de santé sur le rôle et la valeur réelle attribuée aux nommés généralistes. À l’instar de ce questionnaire, il est vraisemblable que madame Lacaisse exigera bientôt des patients de remplir eux-mêmes leur DMP, pour Dossier Médical de Prévention, grâce aux GAFAM1, avec compte rendu et interprétation imprimable à remettre à leurs différents spécialistes. Cette fonction importante risque effectivement d’être remplacée avantageusement par un robot, l’objectif étant plus d’inciter selon les normes de madame Lacaisse, à la responsabilisation de la majorité collective addictive aux écrans, que de convaincre individuellement les irréductibles récalcitrants (quand leurs médecins eux-mêmes en font parfois partie) et de libérer du temps aux futurs spécialistes du troisième type.
Spécialiste de soins de suite
Tel un chef d’orchestre, il coordonnera chaque double concerto pour plaintes de patient, plaintes de Sécu et orchestre médical avec comme seul outil qu’on lui accepte encore une baguette, c’est-à-dire un crayon électronique servant à rédiger courriers, certificats, ordonnances et formulaires pour que madame Lacaisse puisse faire des statistiques.
Cette très gratifiante fonction, très largement détaillée ci-dessus, est la dernière chance à offrir aux refoulés de la dure sélection par et pour les hôpitaux, pour les occuper, afin qu’ils ne soient plus de vulgaires médecins, mais de vrais spécialistes, avec responsabilité à leur hauteur, avec un nom à consonance musicale qui leur ira comme un gant sur une main de chef d’orchestre.
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