Par conviction ou par nécessité, Emmanuel Macron est revenu à son intuition originelle de 2017 : il est préférable de confier les rênes de la Santé à un médecin. Après le tandem éphémère Catherine Vautrin/Frédéric Valletoux, la valse des maroquins a abouti à une réorganisation complète de Ségur, aussi bien en matière de casting que d’architecture ministérielle.
Au-delà du retour symbolique d’un praticien (à l’instar de l’hématologue Agnès Buzyn, du neurologue Olivier Véran ou de l’urgentiste François Braun) pour s’attaquer aux maux d’un secteur en souffrance, c’est surtout le rétablissement d’un ministère de plein exercice « de la Santé et de l’Accès aux soins » qui consacre la priorité accordée à ces dossiers, un signal salué en ville comme à l’hôpital. Exit donc le ministère « délégué » noyé au sein d’un portefeuille social XXL (englobant le Travail et les Solidarités). Cette cohabitation a compliqué certains arbitrages – la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) avait ouvertement regretté les désaccords entre Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux sur la question du budget des cliniques pour concrétiser les revalorisations de leurs salariés.
Prévention : grand sujet, mini-polémique ?
Aux manettes d’un ministère dont elle connaît déjà les murs pour y avoir été en charge des Personnes handicapées (2022-2023), Geneviève Darrieussecq, 68 ans, devrait donc avoir les coudées franches pour gérer les affaires de la médecine de ville, de l’hôpital et du médicament. Avec sans doute un prisme territorial marqué pour cette centriste du Sud-Ouest au solide parcours d’élue locale : conseillère régionale d’Aquitaine en 2004, maire de Mont-de-Marsan en 2008 et enfin députée des Landes.
De façon habile, l’ex-députée MoDem a évacué le début de polémique sur la disparition de la « Prévention » au sein de l’intitulé de son portefeuille, garantissant que ce dossier resterait central. Mais en politique, tout est (aussi) affaire de symboles et le combat contre la désertification médicale est apparu comme le plus urgent à afficher pour Michel Barnier, au regard de l’inquiétude des Français exprimée dans tous les récents sondages.
La concentration des priorités est une autre conséquence de la nouvelle architecture gouvernementale. Ainsi, la séparation assumée entre Santé/Accès aux soins et Solidarités/Autonomie – autre ministère de plein exercice confié à l’ex-député Horizons Paul Christophe – devrait donner de facto du poids politique à chacun des titulaires de ces portefeuilles, respectivement au onzième et douzième rang protocolaire.
Je ne ferai pas de miracles, je ne suis pas une fée
Geneviève Darrieussecq
Certes confortée, Geneviève Darrieussecq doit relever des défis colossaux, en commençant par le budget de la Sécu 2025. Branche maladie exsangue (avec un déficit 2024 attendu au-delà de 11 milliards), hôpitaux publics asphyxiés (la Fédération hospitalière de France réclame 6,3 milliards d’euros supplémentaires), cliniques dans le rouge pour la moitié d’entre elles, industriels du médicament vent debout contre les menaces de « rabot », sans compter les dossiers inflammables comme la régulation des arrêts de travail… Ce budget s’annonce comme une série de chausse-trappes. « Je ne ferai pas de miracles, je ne suis pas une fée, mais je dirai la vérité », a sobrement commenté la nouvelle ministre, lors de la passation de pouvoirs, face à Catherine Vautrin qui a salué sa « ténacité landaise » très utile lors des passes d’armes budgétaires à venir.
Même sans faire de miracles, Geneviève Darrieussecq pourra-t-elle peser face à Bercy, avec de surcroît le budget directement rattaché à Matignon ? L’allergologue – qui s’est illustrée par un parcours à la fois libéral, hospitalier et ordinal – se sait très attendue par ses anciens confrères. En médecine de ville, la supplique de l’UFML-Syndicat en dit long. « Les ministres de la Santé successifs ont tous, et ce sans exception, été écrasés par le ministère des Finances et les fonctionnaires du ministère de la Santé (…) Madame la ministre, vous êtes médecin, ne vous laissez pas enfermer, ne vous laissez pas encadrer, ne vous laissez pas diriger », exhorte le syndicat du Dr Jérôme Marty. Généralistes, spécialistes mais aussi étudiants et remplaçants ont tous rappelé leurs priorités, jouant volontiers la carte de la confraternité pour pousser leurs pions sur le terrain des honoraires ou de l’accès aux soins.
Du côté des praticiens hospitaliers (PH) aussi, les attentes se multiplient, comme autant de miroirs des dossiers en jachère. Le Snphare a évoqué la revalorisation de la grille d’émoluments des PH, les carrières, le décompte horaire du temps de travail, la permanence des soins ou la pénibilité. Tout en saluant au sujet de Geneviève Darrieussecq « le choix d’un médecin ayant une culture mixte, hospitalière et libérale, syndicale, administrative, ordinale et politique ». Compliments d’un côté, cahier de doléances de l’autre.
Chantiers inachevés
« J’ai une mauvaise nouvelle, Geneviève. Avec Catherine Vautrin, on n’a pas résolu tous les problèmes », a ironisé Frédéric Valletoux, ministre délégué sur le départ, lors de la passation de pouvoirs, lundi. De fait, plusieurs chantiers majeurs sont restés en suspens comme l’accès aux infirmiers en pratique avancée (IPA), les expérimentations d’accès direct aux spécialistes, la refonte du métier d’infirmier, l’achèvement de la généralisation des services d’accès aux soins (SAS), la réforme de l’intégration des médecins à diplôme étranger, mais aussi la stratégie décennale des soins palliatifs ou la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Sans compter l’hypothétique taxe lapins pour pénaliser les patients indélicats…
Après une période de flottement politique, le plus grand défi de Geneviève Darrieussecq sera de redonner la confiance à des acteurs – entreprises libérales, établissements de santé, industriels – qui ont besoin de visibilité. Ce n’est pas un hasard si l’une des revendications largement partagées dans le monde médical est l’instauration d’une « loi de programmation pluriannuelle » pour la santé, à l’instar des lois de programmation militaires. Geneviève Darrieussecq, qui fut deux fois au ministère des Armées, franchira-t-elle ce cap ?
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