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Service d'accès aux soins : état d'avancement aléatoire

Par Léo Juanole - Publié le 10/05/2021
Service d'accès aux soins : état d'avancement aléatoire

Un médecin « régulateur » effectuant une permanence téléphonique organisée par le SAMU du CHU de Limoges. Certains généralistes regrettent que la DGOS ait surtout sélectionné des projets rédigés par les centres 15.
BURGER/PHANIE

Censé être expérimenté dans 22 territoires dès le début de l’année 2021 pour faciliter la prise en charge des soins non programmés et désengorger les urgences, le service d’accès aux soins (SAS) peine à s’imposer dans l’Hexagone. Seule une poignée de sites fonctionnent actuellement. De Limoges à Lyon, en passant par Poitiers ou encore Metz, tour de France de l’avancée du SAS.

L’objectif est universel. Accessible à tous et partout, quel que soit le lieu d’appel, et permettant de bénéficier rapidement des soins nécessaires lorsque l’accès au médecin traitant n’est pas possible en première intention, le service d’accès aux soins (SAS) s’inscrit dans la mesure 1 du pacte de refondation des urgences de septembre 2019 et dans la mesure 26 du Ségur de la santé de juillet 2020. Il doit offrir à la population une prise en charge plus lisible et coordonnée entre la ville et l’hôpital. Concrètement, cela doit s’incarner dans un nouveau service d’orientation et de guidage dans le système de santé, qui s’appuie sur une plateforme digitale et une régulation commune des appels entre le Samu et l’organisation territoriale libérale. Dans les territoires, les projets sont donc portés conjointement par le Samu et les acteurs de la médecine de ville, comme les associations de permanence de soins ambulatoires (PDSA), les CPTS ou les URPS. Les ARS, dans ce dispositif, accompagnent les sites pilotes permettant d’expérimenter ces organisations mixtes ville-hôpital. Mais selon les territoires, l’état d’avancement n’est pas le même.



Après un appel à projets le 15 août, une quarantaine de dossiers ont été déposés le 15 septembre aux ARS, qui les ont transmis le 30 septembre à la DGOS, laquelle en a sélectionné 22 – couvrant 40 % de la population française – devant être a priori opérationnels à partir de janvier et jusqu’au dernier trimestre 2021. Aujourd’hui, seuls six SAS sont déjà en fonctionnement : ceux de la Vienne, du Rhône, de la Gironde, de la Moselle, du Nord et de la Somme. Pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF et praticien en Mayenne, « seuls trois ou quatre étaient au point ; pour le reste, le travail était insuffisant. Aujourd’hui, très peu de SAS vont démarrer avec une organisation territoriale où les médecins généralistes se sont engagés à prendre en charge les patients adressés par le régulateur… parce que les conditions ne sont pas réunies. Ce ne seront pas de vrais SAS, mais des SAS light… Comme l’Élysée suit le dossier, il faut qu’ils soient tous à l’œuvre au mois de juillet, puis élargis à tous les départements en 2022. »

« Le bon soin, au bon moment, au bon endroit, par le bon médecin »

Si des réunions ont lieu tous les mois entre la DGOS et les futurs SAS, celle du mois d’avril a été annulée, faute de remontées réalistes des ARS. Beaucoup critiquent la gestion du gouvernement, comme le Dr Mickael Frugier, médecin généraliste exerçant à Le Vigen, au sud de Limoges (Haute-Vienne). « Dans les groupes de travail de la DGOS, on ne parle que d’outils… Moi, je crois qu’il faut partir d’abord du terrain et faire en fonction des territoires. Le SAS, c’est le bon soin, au bon moment, au bon endroit, par le bon médecin. »

Dès la sélection des sites pilotes, certains ont critiqué les choix faits, regrettant notamment une orientation sur des projets rédigés uniquement par les Samu. En Haute-Vienne, l’un des départements avec la population la plus âgée de France, le projet de SAS du Dr Frugier n’a pas été retenu. Amer, le praticien évoque pourtant un engagement et une expérience historiques dans son territoire rural. « Nous sommes l’un des premiers départements à avoir fait de la régulation 24 heures sur 24 dans les années 1990. En 2010, nous avons restructuré nos services pour diminuer le nombre de gardes et augmenter la couverture en faisant des nuits profondes. »

Pas très loin de là, le ministère de la Santé note de son côté que le SAS 86, lancé notamment par le CHU de Poitiers le 1er mars, couvre la totalité du département de la Vienne et « enregistre déjà une bonne dynamique ». Parmi les SAS opérationnels, il cite aussi celui du Rhône et le SAS 33 en Nouvelle-Aquitaine, en fonctionnement depuis le 11 février 2021, qui renvoie vers différentes filières : deux socles – aide médicale urgente, médecine générale pour les soins non programmés en ville – et des complémentaires – centre antipoison et de toxicovigilance, périnatalité. À terme, d’autres filières comme la psychiatrie ou la gériatrie pourraient s’y greffer, précise Ségur.

De prochaines négociations avec les syndicats en juin

À l’Élysée, on regarde de près la mise en place du SAS, car il fait partie du projet de loi « Ma Santé 2022, un engagement collectif », avec un budget de 360 millions d’euros. Un grand investissement qui, selon les syndicats, est mal réparti. Mis en cause, le dédommagement des médecins, qu’ils soient « effecteurs » ou « régulateurs ». Selon Luc Duquesnel,« sans les médecins généralistes, il n’y aura pas de SAS : c’est une des rares négociations où nous sommes en position de force. Nous appellerons donc les généralistes CSMF à boycotter le SAS s’ils ne sont pas rémunérés correctement. » La CSMF demande un plancher de 100 euros l’heure pour les régulateurs, sachant que, dans certains départements, ces derniers sont déjà rémunérés 125 euros l’heure. Le syndicat réclame également une majoration de 15 euros par consultation pour les effecteurs, les tarifs mis sur la table lors des négociations de novembre étant, pour le Dr Duquesnel, « inacceptables ».

Outre la définition d’un acte de soins non programmés (SNP), lors de ces discussions inabouties, l’Assurance maladie proposait le tarif de 85 euros par heure pour les régulateurs. Pour les effecteurs, elle souhaitait l’instauration d’un forfait trimestriel progressif, en fonction du nombre d’actes SNP réalisés, avec un plafond de 75 actes. Le montant de ce forfait s’étalonnait entre 6 euros l’acte par trimestre et 8,80 euros pour les médecins qui en réalisent le plus.

Le ministère mise sur la reprise des discussions en juin avec les syndicats. « Ces deux éléments ont vocation à être définis dans le cadre des négociations conventionnelles qui vont reprendre avant l’été. Pour la phase des pilotes, les rémunérations sont mises en œuvre conformément aux dernières propositions de l’Assurance maladie et seront financées par le fonds d’intervention régional (FIR) des ARS concernées. Elles s’appliquent donc déjà. »

Un numéro dédié à la médecine générale

Au-delà de la rémunération, la question du numéro de téléphone coince toujours. Les syndicats de médecins libéraux défendent la mise en place d’un numéro dédié. « Le 116-117, numéro européen, est déjà à l’œuvre dans le cadre de la permanence des soins dans trois départements : Normandie, Pays de la Loire et Corse. Les pompiers veulent un 15 et un 18 et en plus un 116-117 pour les appels non urgents ; nous y sommes favorables. Nous souhaitons un numéro dédié à la médecine générale », rappelle le Dr Duquesnel.

Pour le Dr François Braun, président de SAMU-Urgences de France, « la question du 116-117 est un faux problème : l’objectif du SAS, c’est de mettre en commun le premier numéro de décroché et ensuite d’être autonome. À Metz, le 15 et le numéro de la permanence arrivent au même endroit et ça fonctionne très bien. L’enjeu du SAS, c’est de répondre à tous les appels, de ne plus en perdre (quand les gens raccrochent, N.D.L.R.) et de décrocher en moins de trente secondes. Ensuite, orienter l’appel : urgences, médecin généraliste, centre antipoison, etc. » Là-bas, 95 % des décrochés ont lieu en moins d’une minute. « L’épidémie de Covid-19 a été un baptême du feu pour nous. À la mi-mars, lors du pic de l’épidémie, nous avons été en fonctionnement SAS et ça a bien marché ! De fait, nous travaillons avec des médecins généralistes régulateurs depuis 1993, c’est historique ici ! »

Le SAS bute sur la démographie

Ailleurs, dans le département de l’Indre, un SAS se met en place… « difficilement », comme l’explique le Dr Sylvaine Le Liboux, présidente de la CPTS du Boischaut Nord et porteuse du projet au niveau de l’Inter-CPTS 36 : « Nous sommes un département déficitaire : nous avons moitié moins de médecins que la moyenne nationale, notre SAS ne peut donc pas exister 24 heures/24 ; il sera ouvert de 8 heures du matin à 20 heures le soir, du lundi au vendredi. » La mise en place du dispositif devrait avoir lieu en juin mais « tout n’est pas négocié, notamment la rémunération des régulateurs et des effecteurs ». Ici, on demande une majoration des actes de 15 euros par consultation prise en charge. « Mais si la Sécu n’en veut pas, on ne le fera pas. » Dans la région, le SAS fait l’objet d’une convention avec l’hôpital de Châteauroux. La philosophie « n’est pas celle de Paris », raconte l’élue de la CSMF. « C’est le médecin traitant en premier qui doit répondre et s’il n’est pas là, le généraliste qui régule, pouvant écrire des ordonnances ou donner un conseil… Mais ce n’est pas de la médecine supermarché avec géolocalisation ! C’est le médecin régulateur qui gère les créneaux, pas le patient. » À titre personnel, le Dr Le Liboux veut montrer deux choses : tout d’abord que, dans un département pourtant mal loti, si les libéraux sont organisés et rémunérés correctement, « il est possible de faire des choses », et ensuite que, dans ces conditions, « il est possible d’attirer des jeunes et d’être hyper dynamique ».

Absent des dernières négociations, le Dr Jérôme Marty, président du syndicat UFML-S, a un avis bien tranché sur la question. Pour lui, le SAS n’est « ni un bon, ni un ambitieux système » car le problème qu’il ambitionne de résoudre est beaucoup plus complexe : « pour désengorger les urgences, il faut que les médecins s’installent, prennent des gardes… » En somme, pour le généraliste de Fronton (Haute-Garonne), il faut se méfier « des acronymes qui cachent la réalité du besoin» Pour lui, « c’est un SAS vers la sortie ! »