Un communiqué de l'Inca il y a quelques jours a été largement repris par la presse spécialisée et généraliste. Cette annonce a été rapportée dans le Quotidien du Médecin du 3 avril 2018 : « Impact majeur de l'alcool sur l'incidence des cancers du sein plus de 8 000 nouveaux cas attribuables à la consommation de boissons alcoolisées. » On doit d'emblée remarquer que l'auteur de l'article a centré ses propos sur l’impact de la consommation de boissons alcoolisées sur l’incidence des cancers du sein alors que le communiqué de l’Inca portait sur l’ensemble des localisations cancéreuses annonçant 27 984 cancers attribuables à l’alcool en 2015 et concernant les cancers chez la femme, 8 104 nouveaux cas de cancers du sein sont attribuables à l'alcool sur les 11 669 cas retenus pour toutes les localisations.
Dans l'article, le Pr Rouzier de l'Institut Curie manifeste son scepticisme quant à la validité de cette information : « une étude de confirmation me semble nécessaire car cela me semble discordant avec ce que j'observe au quotidien. » Car le doute ne paraît pas toucher les rédacteurs de l'Inca qui se permettent d'annoncer un chiffre à l'unité près et d'affirmer sans réserve que ces 8 104 cas de cancers du sein sont attribuables à l'alcool.
Oncologue retraité ayant exercé pendant des années et tout particulièrement auprès de femmes atteintes de cancer du sein, je ne puis que rejoindre la position du Pr Routier et dire qu'effectivement je n'ai pas eu l'impression de soigner tant de patientes dont la responsabilité dans le déclenchement de leur maladie paraissait pouvoir être liée pour une part (une terminologie plus prudente)à une consommation excessive de boissons alcoolisées, c'est-à-dire plus d'un verre par jour !!!
Une double approximation
8104 : pour expliquer un chiffre d'une telle précision, je peux imaginer deux hypothèses. Formidable efficacité des systèmes d'enregistrement des patientes qui aurait permis que toutes les patientes françaises atteintes d'un nouveau cancer du sein bénéficient d'un interrogatoire précis concernant leurs habitudes de vie et notamment leur consommation de boissons alcoolisées. Il est sans aucun doute permis d'affirmer que ce n'est pas la méthode qui a été retenue. On peut donc penser qu'il s'agit d'une double approximation, la première concernant le nombre de patientes touchées par le cancer du sein chaque année en France et la deuxième concernant les difficultés d’évaluation des facteurs comportementaux et notamment du niveau de consommation ou d'addiction alcoolique dans la population. Mais en manipulant deux chiffres approximatifs on peut bien aboutir à un résultat précis à l'unité.
La pratique de la cancérologie nous rappelle qu'il s'agit d'une pathologie qui reflète l'extrême hétérogénéité des populations et, sur le pourquoi du cancer, nul n'ignore qu'il est le résultat d'un processus multifactoriel impliquant des facteurs endogènes génétiques et des facteurs exogènes de comportement ou d'environnement. Mais pour les rédacteurs de l'Inca, cette population paraît strictement homogène : 8 104 femmes ont eu un cancer du sein parce qu'elles ont eu une consommation excessive de boissons alcoolisées. Or il s'agit certainement d'une population extrêmement hétérogène tant en ce qui concerne les facteurs de prédisposition génétique que, concernant l'agent exogène mis en cause, l'ancienneté et l'importance de la consommation de boissons alcoolisées car au-delà du seuil limite il y a d'infinies possibilités quant au niveau de consommation.
Un agent pathogène indiscutable, mais…
Alors, oui, l'alcool reste un agent pathogène indiscutable même si l'on doit reconnaître que son impact sur la santé de la population est bien moindre aujourd'hui qu'il n'a pu l'être il y a quelques décennies lorsque la consommation du travailleur de force était jugée encore raisonnable quand il ne buvait que 2 l par jour.
Mais il faut savoir raison garder et ne pas céder au dogmatisme, et affirmer comme cela vient d'être fait que presque 20 % des cancers du sein seraient la conséquence unique et indiscutable, (les mots employés autorisent ce raccourci) d'une consommation de boissons alcoolisées, sans émettre la moindre réserve, me paraît tout à fait excessif et sans doute peu productif dans la lutte contre l'addiction alcoolique avec toutes ses lourdes conséquences. Je crois qu’aujourd'hui il est plus important d'attirer l'attention, notamment de nos jeunes, sur les risques spécifiques de leurs habitudes de consommation d'alcool sans se sentir obligé de brandir la peur du cancer.
Pour le plus grand nombre de nos patientes atteintes de cancer du sein, c'est-à-dire celles qui ne font pas partie des familles à haut risque, se pose toujours la question du pourquoi. Et j'avoue que, compte tenu de notre degré d'ignorance, il ne me serait jamais venu à l'esprit, de mettre « le nez de la patiente dans son verre » pour lui expliquer qu'elle est directement responsable de sa pathologie et au-delà, pourquoi pas, coupable !
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