L’e-addictologie va-t-elle révolutionner les prises en charge des conduites addictives ? Elle a en tout cas un fort potentiel, selon le rapport « Addictions : la révolution de l’e-santé », remis ce mardi à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) par le Fonds d'actions addictions.
Plateformes d'informations en ligne, entraide sur les réseaux sociaux, applications pour réduire sa consommation… Une palette de services e-santé est proposée pour améliorer le service médical rendu dans la prévention, le repérage, le diagnostic et le traitement des addictions. « L’objectif est de réduire avec l'aide des outils numériques le treatment gap, ce fossé entre le nombre de personnes souffrant d'une addiction et celles réellement traités », explique le Pr Michel Reynaud, président du Fonds Actions Addictions, psychiatre et addictologue ainsi que coauteur du rapport avec le Dr Jean-Pierre Thierry, conseiller e-santé du même organisme. Beaucoup de Français utilisent au quotidien des produits psychoactifs : 13 millions fument, 5 millions consomment de l'alcool et 700 000 du cannabis. Moins de 20 % des personnes présentant un trouble de l'usage de substances bénéficient d'un traitement, qu'il s'agisse des fumeurs, des consommateurs problématiques d'alcool ou de drogues illicites.
Le plan de bataille national pour déployer l'e-addictologie mentionne 4 niveaux d’actions progressifs. Il devrait être opérationnel en 2020.
Doper l'entraide sur les réseaux sociaux et sites Web
Le premier niveau vise à développer les plateformes d'information à la population en y ajoutant des outils d'autoévaluation, un chat avec un psychologue et des modules d'éducation à la santé. Aujourd’hui, les lignes téléphoniques et sites Web Joueurs, drogues et alcool info service sont encore mal connues et ne sont pas intégrées au parcours de soins. La mission recommande de les doper mais surtout de développer des « plateformes de pairs » sur ces sites Web ou réseaux sociaux calqués sur la page Facebook #JNFP (Je ne fume plus) qui regroupe 16 000 membres ou le forum de patients-experts du réseau Addict’aide. « #JNFP est un auto-support, un espace de parole pour les défumeurs comme on s'appelle, explique Françoise Gaudel, fondatrice. Une cinquantaine de personnes bénévoles répondent jour et nuit aux questions des membres et donnent des conseils. Par exemple : j'ai arrêté de fumer depuis une semaine et je tousse, c'est normal ? Je me suis disputé avec mon conjoint, j'ai envie de fumer…» Des badges de victoires sont aussi distribués, une manière de se remotiver.
Ces outils devraient également être imaginés pour les adolescents et les jeunes adultes.
Rembourser le télésoin
Deuxième niveau : mobiliser des professionnels de santé (psychologues, éducateurs, infirmiers) formés à l’addiction ou des patients-experts certifiés afin d'aider le patient à maîtriser sa consommation par le biais de sites Web ou d'applications. « Il y a un manque d’addictologues libéraux en France, poursuit le Pr Reynaud, il faut valoriser certaines professions qui peuvent aider les patients à entrer dans le système de soins. » À ce titre, la mission suggère la création d'actes remboursables pour du « téléconseil et télésoin par des psychologues et des aidants ». Des expérimentations pourraient être menées dans le cadre de l'article 51 du budget Sécu 2018.
Prendre le virage de la téléconsultation psy
La téléconsultation, « trop faible » en psychiatrie, est un outil à plébisciter. En France, seule la start-up Doctoconsult propose aux patients de téléconsulter un psychiatre (et d'être remboursé si le professionnel a été rencontré de visu au moins une fois au cours de l’année écoulée). 150 psychiatres sont disponibles dont 20 addictologues. 3 000 téléconsultations ont été réalisées pour la prise en charge de tous types de pathologies psychiatriques, assure le Dr Fanny Jacq, la psychiatre fondatrice. La mission réclame une dose de souplesse « pour ne pas freiner les patients » et avance des pistes économiques comme l'application du paiement à l'épisode de soins ou encore l’inscription des addictions « sévères » dans la liste ALD. À cela s'ajoute l'utilisation d'objets connectés ou d'applications pour le suivi du patient comme ReSET au États-Unis qui permet au praticien de voir la consommation de son patient.
L'e-santé à l'échelle du territoire
Le dernier niveau de prise en charge (épidémiologie et santé publique) requiert une approche territoriale et coordonnée de l'addiction grâce au numérique (intelligence artificielle, objets connectés) entre les réseaux de soins, la ville, l'hôpital et le médico-social. « En 2019, l’approche en silo doit être considérée comme dépassée, voire contre-productive », plaident les experts. Ils défendent l'idée d'une expérimentation dans deux ou trois régions sanitaires volontaires, là encore en s'appuyant sur la télémédecine mais pas que. À titre d'exemple, en Écosse et en Angleterre, les données des dossiers patients informatisés sont collectées et analysées pour chaque territoire de santé. Cela permet d'établir des indicateurs sur les délais de prise en charge de patients dépendants à l'alcool et aux drogues, de connaître le taux de prescription de substitut nicotinique par territoire, etc.
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