Un consensus se dessine désormais : quand la recherche immédiate de l’abstinence n’est pas possible ou peu souhaitable, la première préoccupation du médecin est de faire baisser le niveau de risque auquel s’expose le patient en l’aidant à diminuer sa consommation ou à améliorer les conditions dans lesquelles se déroule la consommation.
« Historiquement, c’est le choc du sida qui a fait prendre conscience qu’il fallait d’urgence réduire les risques de contaminations chez les consommateurs de drogues injectables », raconte le Dr Philippe Batel, psychiatre de l’unité Psychiatrie et addictologie de l’hôpital Beaujon, à Paris. Pour l’alcool, le mouvement ne s’enclenche que dans les années 1990. La nosographie de la maladie est passée de la simple séparation entre alcoolodépendant et non acloolodépentant à une maladie étagée, notamment avec le DSM III-R puis le DSM IV qui fait la distinction entre les patients qui prennent des risques, ceux qui souffrent déjà de dommages et les patients dépendants.
Un objectif peut-être mortifère
Face à cette grande variété de patients, la réponse unique de la recherche de l’abstinence ne semble plus convenir. « Le terme "abstinence" est vraiment épouvantable pour beaucoup de gens », rappelle le Pr Michel Lejoyeux, chef du pôle addictologie, gériatrie, pédopsychiatrie, psychiatrie, médecine physique et de réadaptation (AGAPPP). « Il y a aussi des patients chez qui l’abstinence est impossible, du moins dans un premier temps. Il ne faut pas tomber dans une recherche de l’abstinence qui serait mortifère. »
Pour autant, les addictologues ne veulent pas mettre les deux approches dos à dos, pas plus qu’ils ne souhaitent mettre totalement de côté l’abstinence. « On ne peut pas, en tant que médecin, ne pas travailler sur l’abstinence à court terme avec des patients dont la consommation d’alcool occasionne des atteintes physiques graves ou une très forte désociabilisation par exemple », explique le Pr Lejoyeux. Pour les cas moins graves, le thérapeute doit mettre en place un projet avec le patient : veut-il se sevrer complètement ou souhaite-t-il réduire sa consommation ? Jusqu’à quel point ? Quels sont les moyens de résister ?
Des critères fonctionnels
Dans l’expérience du Dr Batel, « 80 % des patients ne sont pas prêts à l’abstinence. Il faut demander le nombre de verres consommés et dans quelles situations. Les patients s’appuient sur des critères de réduction très fonctionnels comme ne plus boire tout seul. Il faut alors objectiver avec lui : combien de verres par semaine cela représente ? Combien de jours d’abstinence consécutifs ? » Établir une stratégie de réduction des risques suppose plusieurs étapes. Le médecin commence par établir l’histoire de l’alcoolisation de son patient, puis s’intéresse aux éventuelles comorbidités psychiatriques et sociales. « On doit donner des arguments aux patients en faveur de la légitimité à changer », poursuit Philippe Batel, le tout est de savoir quelle est l’ampleur du changement qu’il souhaite ? ». Pour le Dr Xavier Aknine, médecin généraliste qui dirige le réseau MG addiction, « l’objectif est toujours de réduire les dommages. Quand on passe de huit à cinq verres par jour, on réduit déjà le risque cardiovasculaire. »
Résistance à la nouveauté
Bien qu’apparemment frappé du sceau du bon sens, la réduction du risque a le plus grand mal à s’imposer parmi les addictologues. « Seulement 5 % des alcoolodépendants sont traités selon les recommandations. Il existe une grosse résistance à la nouveauté et au traitement : chacun fait un peu comme il veut », reconnaît le Dr Batel qui, en plus de son activité à l’hôpital Beaujon a pris la tête de la clinique Montevideo, à Boulogne. Selon lui, le changement des mentalités viendra des Centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie en ambulatoire (CSAPA), « lieu du mariage forcé entre suivi des drogues dures et de l’alcool » mais aussi des cabinets de médecine générale. « Les médecins généralistes sont ouverts à la nouveauté. Ils se sont emparés du baclofène contre l’avis des grands spécialistes. La médecine de ville est l’endroit idéal pour le dépistage et des interventions brèves. Le simple fait de demander au patient de s’interroger sur sa consommation hebdomadaire, c’est déjà faire de la réduction du risque. »
Quel rôle pour les médicaments ?
Selon l’INPES, 11 % des Français buvaient quotidiennement de l’alcool en 2010 contre 24 % en 1992. Même si le phénomène s’est contracté, entre 3 et 5 millions de Français boivent toujours trop en France. Le problème est trop vaste pour être l’apanage des seuls services de soins spécialisés. L’ouverture de la prescription du nalmefène aux médecins généraliste a donc été bien perçue par les syndicats libéraux comme par les addictologues même si des interrogations subsistent. « On ne sait pas encore quelle place il aura dans le traitement de l’alcoolodépendance, avoue le Dr Baknine. La RTU du baclofène le présente comme un médicament de seconde intention alors que le nalmefène apparaît comme un médicament de première intention pour les gros buveurs mais nous avons besoin de recul. » Pour Michel Lejoyeux, « on en est loin d’avoir une typologie qui nous permette de mieux savoir qui traiter et comment. L’alcoolisme de la femme n’est pas le même que celui de l’homme et la consommation d’alcool liée aux troubles de la personnalité n’est pas la même que celle prise comme automédication. »
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