EN FRANCE, même lorsqu’elle contient de la nicotine, l’e-cig n’est considérée ni comme un produit du tabac (la cigarette), ni comme un dérivé du tabac (substitut nicotinique). Elle n’est pas non plus un médicament. Les députés européens ont exclu de lui accorder un statut exclusivement thérapeutique, ce qui aurait eu pour conséquence d’en réserver la vente uniquement aux pharmacies et d’allonger les délais de mise sur le marché des produits (deux à trois ans pour une AMM). Elle est donc un produit de consommation courante réglementé, en vente libre, bénéficiant d’une dérogation de l’agence nationale de sécurité du médicament pour contenir jusqu’à 20 mg de nicotine.
La décision du Parlement européen, qui doit néanmoins être soumise au trilogue, a satisfait les experts ayant participé au rapport de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT). « Ce serait une très mauvaise chose de la limiter aux pharmacies. Ça freinerait l’innovation et enchérirait le produit », estime Jean-François Etter. « Les vapoteurs iraient bidouiller leur e-cig dans leur coin au détriment de leur sécurité » enchérit le Dr Mathern, tabacologue, expert de l’OFT et président de l’Institut Rhone-Alpes.
À l’opposé, le Pr Yves Martinet, chef du service de Pneumologie du CHU de Nancy et président du Comité national contre le tabagisme, dénonce le statu quo. « La nicotine est la plus puissante des drogues. Les pharmacies pourraient la vendre comme elles vendent du subutex, en donnant des indications et conseils ».
Encadrer, interdire ou laisser faire ?
Plus largement, c’est la question de l’encadrement de l’e-cig qui se pose. À partir d’une même littérature scientifique, caractérisée par un manque de recul sur les effets à long terme, les prises de positions divergent.
Parce qu’« aucune étude scientifique n’a démontré l’absence de nocivité de l’e-cigarette », l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires demande l’interdiction de la publicité, de la vente aux mineurs, et du vapotage dans les lieux publics.
De même, le Pr Martinet, au nom du CNCT, insiste sur les trop nombreuses inconnues, et s’insurge de la confusion entre diminution de la consommation de cigarette et diminution du risque : « si l’e-cig permet d’arrêter de fumer, c’est superbe. Mais si parallèlement au vapotage, la personne continue à s’accorder plus de deux cigarettes, cela ne diminue pas le risque cardiovasculaire », explique-t-il.
À l’opposé, d’autres spécialistes font valoir qu’aucune donnée scientifique ne justifie une quelconque interdiction. « En terme de santé publique, le risque n’est pas l’e-cig. Le risque vient des experts qui veulent la sur-reglementer et contraindre les gens à chercher leur nicotine dans la cigarette et non dans un produit moins toxique », dénonce Jean-François Etter, professeur en santé publique à l’université de Genève, qui s’est démarqué du rapport de l’OFT sur ce sujet.
Le Dr Mathern partage en partie cet avis. « Penser que le vapotage va dénormaliser le non-fumeur est un fantasme. Il n’y a aucune bibliographie là-dessus. Le vapotage peut être discret et je compte sur la civilité des gens ». Le tabacologue est néanmoins plus réservé sur le sort des mineurs. « Si le mineur est dans une démarche de sevrage, il faut lui parler de la cigarette. En revanche, les jeunes qui vapotent sans raison, et risquent de mettre de la nicotine dans leur e-cig, je dirais non, car on ne sait pas encore si ça peut induire de la dépendance ».
Le Pr Bertrand Dautzenberg, président de l’OFT, a longtemps hésité. De son propre aveu, il y a six mois, il s’opposait à l’e-cig, pour sa ressemblance avec la cigarette classique. « Je pensais que cela confortait les addictions et l’habitude de fumer. Que c’était comme la méthadone, une porte d’entrée ». Il est revenu sur ses positions à la lumière de la littérature, et aujourd’hui pèse le pour et le contre sur le vapotage en entreprise, que la ministre de la Santé Marisol Touraine souhaite interdire. « Autoriser le vapotage pourrait être considéré comme une incitation au tabagisme, quoique pour l’instant, lorsqu’on met en présence fumeurs ou vapoteurs, ces derniers semblent convertir les premiers. D’un point de vue sanitaire, vapoter à longueur de temps procure un effet patch meilleur que le pic de nicotine ». « Si l’AMM devient obligatoire, ce sera beaucoup plus compliqué à interdire : on n’interdit pas un médicament », fait-il remarquer.
Le pragmatisme des médecins.
Que faire en tant que prescripteur ? De nouveau, les réponses ne sont pas univoques mais se rejoignent sur la nécessité d’être pragmatique. « Si le patient vient avec son e-cig qu’il utilise avec succès, je dis : continuez, pour ne pas sauter sur la cigarette classique. Si on me demande ce que j’en pense : je réponds ce qui est écrit dans les livres. "C’est 500 fois moins dangereux que la cigarette classique mais personnellement je ne peux pas vous faire une ordonnance pour la e-cig". C’est la théorie, mais des médecins le font », explique le Dr Mathern. « Je ne prescris pas, mais on peut en parler », résume le Pr Dautzenberg.
Le Pr Martinet intègre aussi l’e-cig dans l’arsenal thérapeutique. « Avant tout était noir ou blanc. Maintenant, on doit composer avec du gris clair ».
À l’avenir les nuances pourraient devenir encore plus subtiles, selon que les cigarettes électroniques seront ou non soumises à des procédures d’autorisation de mises sur le marché ou que les cigarettiers en rachèteront la production.
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