Un tiers des étudiants en médecine déclare avoir déjà expérimenté des psychostimulants, principalement des médicaments sans ordonnance comme le Guronsan, mais aussi des corticoïdes et du méthylphénidate ou du modafinil, 34 % présentent un trouble lié à l'usage d'alcool dont 7,5 % de dépendances caractérisées…
Ces données proviennent d'une enquête de 2016 sur 1 718 carabins, coordonnée par le Dr Guillaume Fond, psychiatre à l'AP-HM. Les résultats du questionnaire révélaient le visage des futurs médecins sous pression, cédant plus facilement aux psychostimulants. Quelques années plus tard, l'enquête BOURBON (1,2) enfonçait le clou. Menée cette fois auprès de plus de 10 000 étudiants, répartis dans 35 facultés et questionnés anonymement en ligne, elle démontrait une forte consommation de tabac, de cannabis et d'alcool chez les occupants des bancs de la faculté.
Recherche de performance en PACES, consommation festive en internat
Les profils de consommateurs varient en fonction du cycle d'étude. Dans une nouvelle étude en cours de publication, l'équipe du Dr Fond note une « forte consommation d'anxiolytiques et d'antidépresseurs en première année, qui cède le pas à une forte consommation d'alcool, de cannabis et de tabac dès la seconde année, expose le Dr Fond. Le suivi psychiatrique et psychologique augmente aussi fortement à partir de la deuxième année ».
Ce constat est partagé par Antoine Reydellet, président de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI) qui alerte depuis des années sur le surrisque psychiatrique des étudiants. « Lors des premier et second cycles, les étudiants cherchent à booster leurs performances, détaille-t-il. Une fois les épreuves classantes nationales passées, les consommations à caractère festif prennent le relais : alcool, cannabis ou protoxyde d'azote sont alors utilisés à visée anxiolytique ».
Les futurs psy, plus exposés
Certaines spécialités sont plus à risque que d'autres. Toujours selon les données de l'étude Bourbon, les internes en psychiatrie ont 1,9 fois plus de risque de fumer que leurs pairs des autres spécialités, 1,5 fois plus de risque de consommer de l'alcool et 2,7 fois plus de risque de consommer du cannabis. En outre, 40 % d'entre eux présentent des troubles liés à l'alcool, et 12 % ont un usage problématique de cannabis. Les futurs psychiatres ont par ailleurs un risque de consommation d'antidépresseur multiplié par 3,8 et d'anxiolytique multiplié par 1,8, en comparaison aux étudiants des autres spécialités.
Un « déni face au trouble »
Une plus forte consommation chez ces étudiants signifie-t-elle un plus fort risque de dépendance ? Pas nécessairement pour Antoine Reydellet. « L'avantage de vivre dans le milieu médical est que le risque d'addiction est vite repéré et pris en charge », estime-t-il.
Un avis que ne partage pas le Dr Fond qui n'hésite pas à parler de « déni face au trouble ». Au cours d’entretiens menés dans le cadre de ses travaux, il constate deux attitudes en cas de troubles de l'usage d'alcool ou d'autre stupéfiant : « l'étudiant qui se vante et ne fait rien pour corriger cela, et celui qui se cache, résume-t-il. L'état d'ébriété extrême lors des fêtes est défendu comme faisant partie de la culture carabine. Par ailleurs, être entouré de médecins n'est pas un rempart contre l'addiction : il est très difficile de s'ouvrir à des collègues, ou même d'aller voir des confrères dans d'autres hôpitaux ».
Un recours fréquent à la psychothérapie
Au-delà de la prévalence de conduites addictives, la santé mentale des étudiants dans son ensemble est éprouvée par l'intensité des études mais surtout par le poids croissant des responsabilités inhérentes au métier. Dans une publication récente (2), la poursuite du suivi des 10 985 étudiants de l'étude Bourbon a révélé que 12,2 % d'entre eux sont suivis par un psychiatre ou un psychologue, 20,5 % prennent régulièrement des anxiolytiques et 17,2 % prennent des antidépresseurs.
Pour Solène Parabère, vice-présidente charge de la prévention à l’ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France), ce constat est lié au caractère « anxiogène » des études de médecine, au climat de compétition et aux charges de travail. Elle espère que les réformes à venir vont alléger la pression sur les épaules des carabins : « la fin des ECN et du concours de fin de PACES devrait mettre fin à ce gâchis humain », espère-t-elle.
Afin d'avoir une vision de l'évolution de la santé mentale des étudiants en médecine, le Dr Guillaume Fond milite quant à lui pour la création d'un « observatoire, à l'image de l'office français des drogues et des toxicomanies ».
(1,) Guillaume Fond et al, Journal of Affective Disorders, volume 239, pages 146-151, 15 october 2018.
(2) Guillaume Fond et al, Psychiatry Research, volume 272,pages 425-430, février 2019
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