Entretien
LE QUOTIDIEN : Vous affirmez que la loi de santé marque un virage ambulatoire alors que les médecins libéraux redoutent une loi dirigiste et « hospitalocentrée » ! Comment expliquez-vous ce dialogue de sourds?
MARISOL TOURAINE : Les discussions qui ont eu lieu ces dernières semaines ont permis de lever certains malentendus. Mon objectif est de développer la médecine de parcours en donnant aux professionnels de santé de proximité des outils opérationnels pour leur permettre de répondre aux besoins des patients. La remise d’une lettre de liaison en sortie d’hospitalisation permettra de faire le lien entre l’hôpital et le médecin traitant. La généralisation du tiers payant, qui reste un sujet de divergences, est aussi un moyen de redonner à la médecine de proximité la place qui doit être la sienne dans le parcours du patient. Aujourd’hui, un certain nombre de patients se rendent aux urgences parce qu’ils hésitent à avancer les frais d’une consultation. Valoriser la médecine libérale c’est aussi lever ces blocages.
Le nouveau service territorial de santé au public, piloté par les ARS, laissera-t-il une place à l’initiative libérale ?
Il ne s’agit aucunement de remettre en cause la liberté d’installation des médecins, comme j’ai pu le lire dans les premières réactions. Sur la lutte contre les déserts médicaux, j’ai privilégié depuis le début des solutions incitatives et pragmatiques, en écartant toute logique coercitive. C’est dans le même esprit que je souhaite mettre en place, dans chaque territoire, des réponses appropriées et coordonnées aux besoins, à partir des initiatives, existantes ou à construire, des professionnels. Il faut des réponses partout, mais il n’y aura pas partout la même organisation. On ne peut plaquer partout une même organisation, définie d’en haut.
Sur la PDS, vous avez déclaré que le volontariat n’avait pas été une décision « particulièrement judicieuse ». Faudra-t-il reposer la question de l’obligation de garde ?
Aujourd’hui, il faut faire avec cette décision prise par la droite. Pour garantir l’accès aux soins sur tout le territoire, aux heures de permanence des soins, il faut répondre à deux préoccupations : d’abord des médecins disponibles dans tous les territoires, c’est l’objet des mesures du « pacte territoire santé ». Ensuite, il faut une organisation lisible et adaptée aux besoins des patients : c’est l’objet de la création d’un numéro d’appel national pour joindre un médecin aux heures de fermeture des cabinets médicaux.
Le tiers payant généralisé obligatoire pourra-t-il se mettre en place contre l’avis d’une majorité de médecins ?
J’ai confiance dans l’adhésion des médecins à cette réforme, soutenue par la majorité des Français, dès lors que le système mis en place sera simple et sécurisé, tant pour les médecins que pour les patients. Pour obtenir leur adhésion, il faut aussi que les risques de trésorerie ou de charge administrative supplémentaire soient totalement maîtrisés, tant pour les médecins que pour les organismes payeurs. Des travaux techniques sont en cours pour répondre à ces objectifs. Un groupe de travail associant l’ensemble des parties prenantes à la réforme est constitué depuis le début de cette année et permet de poursuivre la concertation.
La création de pratiques avancées pour les paramédicaux est vécue comme une intrusion par le corps médical. Quelles garanties pouvez-vous apporter ?
Le projet de loi donne des garanties très précises pour concrétiser cet engagement pris par le Président de la République dans le cadre du Plan Cancer III. Il ne s’agit nullement d’enlever des compétences aux uns pour les confier à d’autres. L’exercice en pratique avancée est un étage de compétences supplémentaires, qui s’ajoute à l’exercice d’un métier socle tel que défini par les textes. La maîtrise du métier socle et l’obtention d’un diplôme spécifique seront deux conditions obligatoires ; cela ne pourra concerner qu’un nombre très limité de paramédicaux, comme on le voit bien dans les pays qui ont ce type de pratiques (autour de 5 % maximum de la profession infirmière au Québec). D’autre part, j’ai posé la condition d’appartenir à une équipe de soins, ce qui signifie qu’on ne pourra pas se lancer isolément. La préparation des décrets d’application associera les professionnels et permettra d’affiner ensemble ces garanties.
Dix ans après son lancement, le DMP est au point mort (moins de 500 000 dossiers). La reprise en main par la CNAM est-elle un gage de réussite ?
J’en ai la conviction. La CNAM sera capable de définir des priorités de montée en charge au plus près des besoins réels de partage d’information des professionnels. Le nouveau dispositif tire les leçons des échecs successifs des différents modèles de développement du DMP, souffrant depuis le début d’une confusion d’objectifs. Assumer les difficultés rencontrées conduit à proposer un nouveau DMP. La crédibilité de l’outil dépend de la rapidité de son implantation, de sa capacité à devenir un outil efficace de coordination, du rôle que le médecin traitant s’y voit conférer, et enfin des garanties sans faille qu’il apporte dans la défense des intérêts et des droits des usagers. Après 10 ans d’échec, j’ai la ferme volonté que nous réussissions enfin !
101 députés ont réclamé l’interdiction des salles de consommation de drogue à moindre risque. Comprenez-vous leur hostilité ?
Le texte de loi comporte de nombreuses mesures de prévention et de lutte contre les addictions, en particulier alcool et tabac puisque le programme national de réduction du tabagisme sera décliné dans ce texte. En matière de lutte contre les risques liés à l’injection de drogues dites dures, le dispositif qui sera expérimenté est mis en place dans un esprit de responsabilité. Responsabilité pour la santé publique dans la lutte contre le VIH et le VHC, en accompagnant les usagers de drogues injectables dans des espaces supervisés par des professionnels et en leur prodiguant des conseils et des aides pour sortir de la toxicomanie. Responsabilité envers nos concitoyens confrontés à l’utilisation de drogue sur la voie publique. Mon engagement c’est de mettre en place les outils qui ont fait leurs preuves à l’étranger. Ma seule préoccupation, c’est la santé publique. Je ne comprend pas les parti pris idéologiques en la matière.
De nombreux praticiens hospitaliers, notamment anesthésistes, étaient en grève mardi dernier pour dénoncer leurs conditions de travail. Quel signal pouvez-vous leur adresser ?
Le rapport parlementaire relatif à l’intérim médical publié en décembre dernier mettait déjà en exergue les difficultés en matière de recrutement médical des établissements publics de santé. J’ai reçu il y a quelques jours les syndicats de professionnels hospitaliers pour aborder de nombreux sujets avec eux, la loi de santé bien sûr, la gouvernance hospitalière, mais aussi les sujets d’attractivité de la profession.
Les acteurs hospitaliers expriment la nécessité d’améliorer l’attractivité de l’exercice médical à l’hôpital public. C’est la raison pour laquelle je souhaite engager une réflexion plus approfondie sur la carrière médicale hospitalière, la diversification des modes d’exercice, le fonctionnement en équipe, ainsi que l’amélioration des conditions de travail.
Les internes viennent de déposer un préavis de grève pour le 17 novembre. Allez-vous rouvrir avec eux des négociations sur le temps de travail ?
Je travaille avec les internes, et d’une manière plus générale avec les jeunes en formation, depuis 18 mois, sur la question de leurs conditions de travail. Nous n’avons jamais cessé de travailler avec eux sur ces questions. S’il existe encore quelques divergences avec les internes, je suis convaincue que par la poursuite du dialogue nous saurons réformer le temps de travail des internes de façon consensuelle.
Le PLFSS est examiné à partir de demain en séance publique. Les industriels du médicament jugent les économies disproportionnées pour leur secteur. Comment leur donner de la visibilité ?
Nous consommons trop de médicaments, trop de médicaments de marque et trop de médicaments chers.
Le gouvernement s’est fixé comme objectif la stabilité des dépenses remboursées pour la période 2015-2017. Le plan d’économies 2015-2017 prévoit des baisses de prix pour les produits de marque comme pour les génériques. C’est inévitable si nous voulons favoriser l’innovation. Mais en même temps, nous nous engageons dans la logique partagée avec le LEEM (Les entreprises du médicament) de promotion des génériques et de développement de la lutte contre le mésusage des médicaments et la polymédication des personnes âgées. J’ai proposé au LEEM de poursuivre nos échanges, entamés au printemps, afin d’accroître la visibilité des industriels pour les années 2016 et 2017.
La rémunération à la performance (pertinence, qualité) fait son entrée à l’hôpital. Ce système de bonus/malus doit-il se développer dans les établissements ?
Ces contrats comporteront des objectifs qualitatifs d’amélioration de la pertinence des soins ainsi que, pour un nombre restreint d’établissements présentant de forts enjeux en matière de pertinence, des objectifs quantitatifs de réduction des actes, séjours et prescriptions non pertinents.
S’agissant de la qualité des soins, de nombreux rapports et études ont mis en évidence que la tarification à l’activité des établissements de santé ne prenait pas suffisamment en compte cette dimension. Dans le cadre du PLFSS 2015, je crée un financement spécifique, complémentaire à la T2A, afin d’encourager les initiatives d’amélioration de la qualité des soins délivrés aux patients. Cette incitation reposera sur la mesure d’indicateurs de la qualité qui ont fait l’objet d’une expérimentation (IFAQ), dont les résultats sont publiés sur le site www.scope.fr
L’Ondam 2015 historiquement bas condamne-t-il toute hausse du C?
L’enjeu est d’abord d’orienter les rémunérations des médecins vers de nouvelles formes de prise en charge des patients, c’est par exemple le cas de la rémunération d’équipe (prise en charge coordonnée de plusieurs professionnels autour d’un patient sur des objectifs partagés, par exemple prévenir les hospitalisations répétées et les décompensations pour les malades souffrant d’insuffisance cardiaque). Les négociations sont en cours et les éléments de rémunérations ne sont pas encore totalement fixés.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024