LE QUOTIDIEN : Quelles études présentées à l’ESMO pourraient changer les pratiques ?
Pr METGES : En réalité, il y a peu d’essais différenciants, mais l’un d’entre eux concerne le fruquintinib (F), un inhibiteur oral de la tyrosine kinase hautement sélectif des VEGFR-1,2,3. Les options de traitement efficaces sont limitées chez les patients atteints de CCRm réfractaire. Le fruquintinib a déjà fait l’objet d’études dans des populations chinoises (essai FRESCO), en troisième ligne. Si un intérêt semblait se dégager, les patients inclus n’avaient cependant pas reçu au préalable de regorafenib, pourtant le traitement de référence. D’où la réalisation de FRESCO 2 (1), conduit chez 691 patients de type sauvage, sans mutation KRAS, en échec au regorafenib ou à l’association trifluridine-tipiracil (TAS102). Dans cet essai de phase 3 randomisé, versus placebo (P), le fruquintinib a amélioré la survie globale (SG : 7,4 mois contre 4,8 mois) et la survie sans progression (SSP : 3,7 mois contre 1,8 mois). Le taux de contrôle de la maladie était de 55,5 % (F) versus 16,1 % (P). Les effets indésirables sévères (grade ≥ 3) - hypertension, asthénie, syndrome main pied - étaient de 62,7 % (F) versus 50,4 % (P). Le fruquintinib pourrait éventuellement constituer une nouvelle option thérapeutique en troisième, quatrième, voire cinquième ligne. Cela illustrerait la chronicisation de cette maladie, due aux multiples options thérapeutiques.
Menée chez 132 patients en France (en majorité de PS 0-1), l’étude SAMCO-PRODIGE 54 pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses (2). En seconde ligne, elle comparait l’immunothérapie avelumab (anti-PD-L1) au traitement standard, dans le CCRm avec instabilité microsatellitaire liée à une défaillance du système de réparation de l'ADN (MSI/dMMR). Après un suivi médian de 33,3 mois, le bras avelumab était supérieur au groupe chimiothérapie (+/- thérapie ciblée) en termes de SSP (p=0,025), 70 % des patients échappant à l'avelumab à un an. Mais les courbes de SSP se coupent. Au départ, la SSP est moins performante dans le bras avelumab. Puis, la tendance s’inverse, avec une efficacité largement supérieure pour le bras chimiothérapie. Néanmoins, cela n’est pas le cas pour tous les patients, sans possibilité d’identifier les répondeurs complets, ni même partiels. Parmi ces malades en seconde ligne de traitement, environ 6 % obtiennent une réponse complète et 20 % une réponse partielle dans les deux bras.
Et concernant les associations de molécules ?
Nous attendons avec impatience les résultats définitifs d’une étude de phase 3 en cours : BREAKWATER (3). Dans le CCRm BRAF muté, elle compare trois bras de traitement : encorafénib-cétuximab (EC) versus FOLFOX associé à EC versus chimiothérapie (+/- bevacizumab). Dans l’essai de sécurité préliminaire présenté à l’ESMO (57 patients), l’association FOLFIRI-EC était associée à un meilleur profil de tolérance que la combinaison FOLFOX-EC, avec une efficacité au moins comparable.
Dans le traitement des métastases hépatiques, l’étude CAIRO5 (4) a conclu à un match nul entre le bevacizumab et le panitumumab, associé à la chimiothérapie à base de 5FU, dans les CCRm non mutés RAS/RAF. Le taux de résection secondaire est similaire dans les deux bras, sans différence en SSP. Mais cette première étude de phase 3 est utile en pratique, le traitement de référence (chimiothérapie +/- thérapie ciblée) n’étant toujours pas défini.
Que retenir dans les cancers localisés ?
Alors que le traitement consiste actuellement en une résection chirurgicale suivie d'une chimiothérapie adjuvante, l’étude NICHE 2 (5) a évalué une immunothérapie préopératoire (un cycle d’ipilimumab et deux de nivolumab) chez 112 patients avec un cancer du côlon localisé de stade III dMMR/MSI. Une réponse pathologique (RP) a été observée chez 99 % des patients, avec 95 % de RP majeure et 67 % de RP complète. Cette étude confirme la faisabilité, la tolérance et une efficacité impressionnante de l’immunothérapie nivolumab-ipilimumab néoadjuvante, en première ligne de ces cancers. Elle laisse espérer la possibilité de se passer un jour de chirurgie chez ces patients.
Et en dehors des traitements ?
L’intérêt d’une surveillance des cancers du côlon cT2 et 3 interroge. Aujourd’hui, le protocole repose sur un dosage du marqueur antigène carcino-embryonnaire (ACE) trimestriel, pendant deux ans puis tous les six mois, en alternant échographie abdominale et tomodensitométrie. Sur sept ans, une étude du Pr Côme Lepage (CHU de Dijon) a suivi 2 000 patients sans parvenir à établir la supériorité de cette surveillance intensive. Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de cet essai discutable (pas de distinction de la rechute en fonction du nombre de métastases), car relâcher la surveillance peut constituer un message contre-productif, chez des patients qui peuvent tarder à consulter. De plus, le taux de récidive n’est pas forcément le plus important, mais c’est plutôt la précocité du dépistage et la profondeur de la rechute.
(1) Dasari NA et al. ESMO 2022, abst LBA25.
(2) Taieb J et al. ESMO 2022, abst LBA23.
(3) Tabernero J et al. ESMO 2022 abstr LBA26.
(4) Bond M et al. ESMO 2022, abst LBA21.
(5) Chalabi M et al. ESMO2022, abst LBA7.
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