À l'aube de la révolution de l'intelligence artificielle

De l'oncologie à la psychiatrie, aider au diagnostic

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Publié le 09/05/2017
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On les appelle agents conversationnels, systèmes d'aide à la décision, systèmes experts ou simplement intelligence artificielle mais le principe reste le même : utiliser un corpus de données pour aboutir à une décision médicale automatisée normalement prise par un expert humain.

Leur déploiement répond à une double contrainte : une médecine de plus en plus technique s'appuyant de plus en plus sur les données, et la montée en charge des maladies chroniques. « La prise en charge des maladies chroniques ou infectieuses occupe une part de plus en plus importante des coûts de santé. On ne pourra pas produire assez des médecins pour y faire face », affirme le Pr Pierre Philip, directeur du laboratoire Sanpsy (sommeil, addiction, neuropsychiatrie, CNRS/université de Bordeaux). « D’ici 2020 on estime que la qualité d'information médicale disponible va doubler tous les 73 jours », affirme pour sa part Pascal Sempé, responsable en France de Watson Healthcare. Un rythme effréné auquel aucun cerveau humain ne peut faire face.

Du Jeopardy à l'oncologie

Né en 2011, le moteur Watson d'IBM est capable de comprendre le langage naturel, puis de générer les réponses les plus probables à une question, accompagnées d'éléments de preuves issus de diverses bases de données. Si le défi initial était de répondre aux questions du Jeopardy, « des médecins sont rapidement venus nous voir, raconte Pascal Sempé. Nous avons donc entraîné Watson à comprendre les contenus médicaux qu'il s’agisse de données structurées, prévues spécifiquement pour lui, ou non structurées comme des notes tapées par des médecins. »

Première application : la cancérologie. Les ingénieurs d'IBM ont « entraîné » Watson avec les médecins du centre de cancérologie du Memorial Sloan Ketering à New York pour aboutir à Watson for Oncology. Cette « intelligence augmentée » recommande un protocole de soins à partir des données de l’imagerie, des résultats d'examens, de la littérature disponible et des recommandations en vigueur. IBM a ensuite étoffé son offre avec Clinical Trial Matching, capable de mettre en relation études cliniques en cours de recrutement et patients. Le tout est complété par Watson for Genomics, spécialisé dans l'utilisation de génotypages pour recommander des protocoles de chimiothérapie.

À l'avenir, Watson ajoutera les données de dispositifs médicaux connectés, ou même de la météo, depuis l'achat par IBM de The Weather Company. « Les informations météorologiques aident les médecins et les patients à prévoir l’évolution d'une pathologie respiratoire », cite en exemple Pascal Sempé. Un système de capture de la voie pour détecter des problématiques neurologiques et neuropsychiatriques est également en cours de mise au point.

Selon Pascal Sempé, Watson est déjà en cours d'évaluation dans plusieurs hôpitaux français et un centre expert dédié aux technologies cognitives dans le domaine de la santé est en cours de construction à Milan. « Nous sommes en train d'étudier le cadre réglementaire de l'Agence des systèmes d’information partagés et de la commission nationale de l'informatique et des libertés », précise-t-il.

Métadonnées et métastases

L'utilisation de l'intelligence artificielle ne se cantonne pas aux diagnostics complexes. En avril dernier, des chercheurs de l'hôpital universitaire Thomas Jefferson de Philadelphie ont publié dans la revue « Radiology » les résultats d'une expérimentation visant à évaluer les IA AlexNet et GoogLeNet dans le diagnostic de la tuberculose. Comme Watson elles exploitent l'apprentissage profond : elle classe des millions de clichés radiologiques issus de plusieurs bases de données pour reconnaître les clichés provenant de patients atteints de tuberculose.

Sur les 150 cas de l'étude, la combinaison des deux IA permettait d'établir un diagnostic avec une fiabilité de 96 %. AlexNet et GoogLeNet étaient en désaccord sur 13 des 150 cas. Un médecin était alors sollicité pour interpréter les images litigieuses, faisant ainsi monter la fiabilité à 99 %.

En décembre dernier, une intelligence artificielle a démontré sa capacité à détecter les rétinopathies diabétiques et des œdèmes maculaires diabétiques. En 2009, c'est dans le domaine de l'oncologie que les médecins de l'université de Chicago ont fait une autre percée, en utilisant une intelligence artificielle pour analyser les données de l'échographie, en vue de déterminer la présence ou non de métastases chez des femmes prises en charge pour un cancer du sein.

La question de l'acceptabilité

Quelle que soit son utilisation, l'introduction de l'intelligence artificielle n'est envisageable que si elle est bien acceptée par les patients. Cette question préoccupe les chercheurs du laboratoire Sanpsy, auteur d'un agent conversationnel capable de diagnostiquer la dépression.

« L’informatique émotionnelle est un thème émergeant, explique le Pr Pierre Philip. Une intelligence artificielle n'a d'avenir que si elle est plus agréable à utiliser que l’existant. » L'agent conversationnel prend la forme d'un modèle 3D de sujet s'adressant au patient via un module de synthèse vocal, suivant un scénario semi-structuré. La machine adapte ses questions fermées en fonction des réponses qui lui sont données. « Cet agent est doté d'un degré d’empathie, poursuit le Pr Philip. Elle donne l’impression de comprendre le patient même si ce dernier sait qu’il s’agit d’une machine. »

L'agent établit un diagnostic grâce à un arbre décisionnel utilisant les critères du DSM V. L'équipe bordelaise a inclus 179 patients dont 14 souffraient de dépression légère, 12 de dépression modérée et 9 de dépression sévère. La sensibilité était d'autant plus grande que les symptômes étaient importants, et atteint 73 % chez les patients souffrant de dépression sévère. La spécificité est supérieure à 95 % quel que soit le niveau de sévérité.

Ce qui a particulièrement retenu l'attention des chercheurs est le bon niveau d'acceptabilité, avec un score de 25,4 points sur les 30 que comporte l'échelle d'acceptabilité E-Scale. Par ailleurs, aucun des patients n'a éprouvé de difficulté à comprendre la séquence de questions. « Certains ont explosé en sanglot lors de la discussion avec l’agent conversationnel, précise le Pr Philip. d'autres nous ont même affirmé qu’ils avaient moins de sentiment de jugement en face d’une machine qu’en face d'un humain. »

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9579