L’apparition d’antibiorésistances et la meilleure connaissance du rôle d’Helicobacter pylori dans la carcinogénèse gastrique ont fait prendre un tournant à sa prise en charge. Parmi les points forts, la modification des recommandations thérapeutiques, la précision sur les consignes de surveillance après éradication et la place de l’endoscopie.
L’implication de l’Helicobacter pylori (HP ) dans diverses pathologies justifie sa recherche et son éradication éventuelle dans un certain nombre de situations, la démarche étant orientée vers la prévention du cancer gastrique. Si ce type de cancer n’est pas fréquent (autour de 6?500 cas par an en France), avec une incidence en baisse, son pronostic reste très mauvais avec une survie de 25% à 5 ans comme l’ont rappelé plusieurs experts à l’occasion des récentes Journées Francophones d’Hépato-Gastro-Entérologie (JFHOD, Paris 20-23 mars 2014).
Or on sait, aujourd’hui, que l’HP est à l’origine de 80% de ces cancers. Il induit, via la protéine CagA, la transformation des cellules épithéliales gastriques en cellules mésenchymateuses, aux?propriétés proches de celles des cellules souches cancéreuses. La carcinogénèse est très lente, influencée par l’extension de l’infection au corps gastrique, la virulence de certains types bactériens, le terrain génétiquement prédisposé, certains génotypes des interleukines favorisant un état inflammatoire.
Ces nouvelles données sur le rôle de l’HP dans la carcinogénèse gastrique ont conduit à de nouvelles pratiques pour le dépistage de la bactérie dans la prévention du cancer. La recherche systématique d’HP par des tests non invasifs – sérologie, test respiratoire à l’urée – et son éradication sans endoscopie préalable sont logiques dans des populations où la prévalence de l’infection est élevée, mais pas en France où sa prévalence est faible et le niveau d’antibiorésistance élevé et où on recherche plutôt l’HP par endoscopie.
Un dépistage ciblé centré sur l’endoscopie digestive
L’endoscopie doit être réalisée chez les personnes à risque de cancer gastrique : antécédent familial au premier degré, notion de gastrectomie partielle, lymphome gastrique du MALT, carences en vitamine B12 ou en fer inexpliquées, prise prolongée d’AINS ou d’aspirine en cas d’antécédent d’ulcère gastroduodénal, traitement d’au moins 6 mois par IPP qui favorisent l’extension de l’HP. L’HP doit aussi être recherché avant toute chirurgie bariatrique excluant l’estomac qui empêche la surveillance gastrique ultérieure alors qu’on manque de données à long terme sur le devenir du moignon.
Ces indications doivent être également pondérées par des facteurs de risque personnels et/ou environnementaux : exposition au nitrates et nitrites, tabagisme, forte consommation de sel, faible statut socio-économique, personnes d’origine asiatique. Parallèlement aux biopsies sur les lésions suspectes, la recherche de l’HP doit être systématique quel que soit le motif de l’endoscopie avec au moins cinq prélèvements. Elles s’associent à un test rapide à l’uréase et donnent pratiquement toujours lieu à une culture pour antibiogramme.
D’une thérapie probabiliste à l’autre
Le développement de résistances autour de 20% pour la clarithromycine ou les quinolones et de plus de 40% pour le métronidazole a fait chuter le pourcentage d’éradication de l’HP à 60%. La trithérapie classique à base de clarithromycine pendant 7 jours doit être remplacée soit par un traitement séquentiel de 10 jours, associant à l’IPP double dose de l’amoxicilline 2g/jour pendant les 5 premiers jours suivis de 5 jours de clarithromycine 500mg + métronidazole 500mg (deux fois par jour).
Cette stratégie est supérieure à la trithérapie classique, y compris sur les HP résistants à la clarithromycine où on atteint 60% d’éradication. « C’est un peu le mystère de ce traitement, l’hypothèse étant que l’amoxicilline réduit la masse bactérienne de façon importante et la sensibilisant à l’association clarytine/métronidazole », suggère le Dr Anne Courillon-Mallet (Villeneuve-Saint-Georges).
Autre alternative, la quadrithérapie bismuthée associant à l’IPP une combinaison fixe (pylera®) de métronidazole, tétracycline et bismuth. Ce traitement est bien toléré en dehors de quelques nausées, dysgueusie, modification de la couleur des selles, et d’un nombre important de gélules (12 en 4 prises). « Les taux de réussite peuvent aller jusqu’à 93% pour le Pylera® et 70% pour le traitement séquentiel, poursuit la spécialiste. Le traitement de première ligne repose sur un de ces deux traitements, avec switch entre les deux en cas d’échec ; en troisième ligne, il devra être adapté aux résultats de l’antibiogramme. Mais si ces recommandations sont vraies à l’heure actuelle et en France, elles peuvent évoluer rapidement du fait de l’évolution imprévisible des résistances et les pays voisins ont des pratiques différentes.»
Contrôler l’éradication
Le contrôle de l’éradication est impératif. « La sérologie ne permet pas d’évaluer l’éradication de l’HP, rappelle le Dr Pierre Coulom (Toulouse), qui doit être vérifiée par le test respiratoire à l’urée marquée au 13 C, pratiqué à jeun au moins 2 semaines après l’arrêt des IPP et 4 semaines après un traitement antibiotique. Le suivi microbiologique ultérieur n’a pas d’intérêt. » L’éradication d’HP réduit l’incidence du cancer d’environ 30% à condition qu’elle soit précoce. L’impact est moindre en présence de lésions précancéreuses, suggérant l’existence d’un point de non-retour.